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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/139

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D’UN HOMME DE QUARANTE-CINQ ANS

Adoucis-les à présent, mon adorable fille ! Tu les connaîtras. — Tous ? — Oui, tous. — Bon ! tu sauras aussi les miens. — Quelle heureuse intimité tu me fais espérer ! — Reprends où tu en étais, cher papa. — J’avais encore une autre raison qui me faisait vous fuir : je vous croyais du dédain pour moi. — Ah Dieu ! Et comment cela ? — Un jour que j’étais descendu pour du lait, j’aperçus dans la salle basse votre mère ; j’y entrai pour la saluer. Vous y étiez avec cette jeune voisine que j’avais il y a six mois. — Mlle Charmantier ? — J’ignore son nom. Votre maman la pria de m’éviter la peine de sortir et lui donna mon pot. Elle le prit avec dédain, je m’en aperçus et j’en fus peiné. À son retour, je lui fis mes excuses ; elle vous regarda en souriant ; vous lui répondîtes par un pareil sourire qui me parut aussi de dédain. Je m’en retournai confus, très fâché de m’être montré. — Ah ! cher papa ! que tu lisais mal dans mon cœur ! Moi, qui ne soupirais alors qu’après ta connaissance et Charmantier la désirait tout comme moi ; tu t’es trompé sur nos sentiments. — Je m’en félicite, ma fille-. — Une âme aussi sensible que la tienne, papa, dut cruellement souffrir ! — Oui. je l’avoue. — Je veux te dédommager. » Elle me fit des caresses enfantines que je lui rendis avec attendrissement.

Nous parlâmes ensuite de la solidité avec laquelle nous aimions nos amis. Je lui vantai ma manière d’aimer, elle me peignit la sienne. « J’ai à présent une amie, ajouta Sara, que j’aime tendrement, c’est ma maîtresse ; la longue maladie d’une mère qu’elle vient de perdre, des dettes, des chagrins… que je ressens aussi vivement qu’elle-même, la mettent dans le plus cruel embarras… Que je voudrais être riche, pour la pouvoir obliger !… Ma mère leur a prêté, mais si durement, à un si fort intérêt… — Comment ? à intérêt ! — Je ne l’avouerais pas à un autre qu’à mon papa… Si vous connaissiez ma mère !… Je suis bien malheureuse ! » Que je fus touché de ce langage que les larmes accompagnèrent. « Si vous saviez comme elle est dure ! Comme elle m’a traitée !… Mais je me tais. — Chère, chère enfant ! m’écriai-je, oui, je te jure d’être ton père ! Je t’en servirai,