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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/140

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LA DERNIÈRE AVENTURE

ma Sara ; je te dédommagerai des duretés de ta mère par mon tendre attachement… Je sais qu’elle t’a été dure. Combien de fois ne l’ai-je pas entendue d’ici se livrer à des emportements contre toi !… Ma chère fille ! c’est notre bon destin à tous les deux qui nous a rapprochés… J’ai des enfants ingrats[1], tu as une mère dure… Unissons nos intérêts, soyons tout l’un pour l’autre et tenons-nous lieu de la nature entière ! — Je ne vous dis pas tout, reprit Sara la larme à l’œil. — Eh ! pourquoi ne pas me le dire, chère fille ! je ne veux le savoir que pour remédier, si je puis… — Cela ne se peut pas encore… Si… mais je crains d’être indiscrète… vous pouviez obliger mon amie… Un louis, qu’on vous rendra dans deux mois, suffirait pour demain, quand je m’en retournerai. » J’en glissai deux dans sa main que je baisai.

Nous descendîmes ensuite pour souper ensemble chez sa mère ; j’y faisais apporter de chez le traiteur, lorsque je m’invitais moi-même, quelque gros oiseau qui servît ensuite à plusieurs repas de cette femme intéressée.

Le lendemain matin, croyant Sara partie, je chantais dans l’escalier. Elle était dans une pièce d’entrée. Elle tressaillit sur sa chaise, à ce que je sus ensuite. « Qu’avez-vous, lui dit la mère ? — M. D’Aigremont chante ! — Eh bien, c’est qu’il est content ! — Oh ! non, il m’a dit un jour, qu’il ne chantait jamais, que lorsqu’il avait quelque peine ; et il en a sûrement ! — Allez le voir. » Sara monta chez moi.

« Qu’avez-vous ? me dit-elle avec intérêt. — Ah ! ma chère Sara, je vous croyais partie !… J’ai donc le bonheur de te revoir encore ! — Était-ce le sujet de votre peine ? — Je n’en ai plus

  1. Restif avait épousé le 22 avril 1760 Agnès Lebesgue. « Après vingt-cinq ans d’une union mal assortie, il se sépara en 1794 de sa femme et eut le tort inexcusable de mettre le public dans la confidence des torts qu’il croyait avoir à lui reprocher, ainsi qu’à sa fille sa fille aînée, Agnès et à son gendre Auge, coupable des plus grands désordres. « Je me sacrifie, moi et ma famille, à l’instruction de mes concitoyens, disait-il à ceux qui lui reprochaient de dévoiler toutes ces turpitudes. » Biographie universelle et portative des Contemporains, Paris, 1834, t. III, p. 1087.