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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/141

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D’UN HOMME DE QUARANTE-CINQ ANS

d’autres… depuis hier. » Et je lui pris un baiser, qu’elle me rendit. « Je m’en vais partir, reprit-elle ; mais si j’apprends que vous ayiez chanté… — Non, je ne chanterai plus. — Je veux dire, de chagrin. — Tu les préviens tous, chère fille. — Voilà comme je vous aime ; mais adieu… » J’ajoutai aux deux louis qu’elle m’avait demandés la veille, un troisième caché dans un petit étui d’almanach, et elle s’en alla très contente.

Une nouvelle semaine s’écoula.

Elle revint le samedi suivant, et je ne la vis qu’en sortant, pour aller à mes affaires, avant souper. « J’allais monter chez vous, mon papa, me dit-elle. — Venez, j’y retourne. » Nous y allâmes ensemble. J’étais réellement épris. Je louai sa figure ce soir-là ; je lui jurai qu’elle était la seule femme qui eût quelque pouvoir sur mes sens. Je sortis ensuite, et je lui promis de venir souper avec elle. J’apportai pour la première fois ma crème de riz, que nous avons mangée ensemble près d’un an, à quelques jours près. Cette sorte de souper, particulier avec Sara, cimenta notre liaison ; nous étions comme le mari et la femme, ou le père et la fille ; nous avions le même potage, auquel personne ne touchait que nous, quoique nous fussions tous quatre, Sara, sa mère, de Valfleuri et moi, à la même table. Ces soupers, furent les plus doux moments de ma vie, et le plaisir dont la privation m’a, dans la suite, coûté davantage…

Le lendemain, Sara vint sur les onze heures. Nous eûmes un tendre entretien. Je m’émancipai beaucoup trop, je fus prêt à triompher… Un discours qu’on m’avait répété dans la semaine, au sujet du jeune du Châtaignier, me donnait de la hardisse, et me faisait penser : « Si elle a déjà cédé, pourquoi ne serais-je pas heureux ?… » Sara me résista, mais de la manière la plus obligeante ; je ne l’en aimai que davantage. Après un nouveau présent en livres, elle me laissa jusqu’au diner, qu’elle vint me chercher, pour se mettre à table. J’eus pendant tout cet agréable repas, le joli pied de Sara sur le mien. Je me retirai comme les autres jours, et Sara ne manqua pas de venir me voir à sept heures et demie.