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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/162

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LA DERNIÈRE AVENTURE

nos conventions, de mon langage et de ma conduite en sa présence. Je vous avouerai que, pour la contenir et lui imposer, je la traiterai devant un certain monde et quand nous ne serons que nous trois, avec tout le mépris qu’elle mérite. On retient ainsi les femmes de son espèce mais, à votre égard, soyez persuadée que je retiens toute l’estime dont vous êtes digne. Je me trouve le plus heureux des hommes d’avoir prêté l’oreille à ses propositions, autant par rapport à vous, que par rapport à moi-même. Pour vous, je serai un défenseur, et quant à moi, j’aurai trouvé pour partager mes plaisir, un objet qui ne m’avilira pas, un objet estimable que je pourrai chérir, honorer, qui m’inspirera plus de tendresse que de désirs et dont je pourrai dire du bien à mes connaissances, ce qui est infiniment rare dans les filles de la classe où votre mère vous a fait descendre…

« Je vous avouerai que ces sentiments, sans me donner d’amour, firent disparaître ma répugnance. Je crois même que j’eusse enfin aimé M. de ***, s’il avait été mon choix, comme vous l’êtes. Je m’attachais à lui quand il partit pour un voyage. Ma mère, qui se lassait de son joug, profita de son absence pour l’indisposer contre moi. Il tomba malade ; il m’écrivit qu’un mot de ma part contribuerait à lui rendre la santé. Ma mère se fit lire la lettre par son Valfleuri et ne m’en parla pas. Une seconde eut le même sort. M. de D*** ne récrivit plus. À son retour, il vint voir ma mère et lui témoigna son indignation, contre ce qu’il nommait la dureté de mon procédé. « La voilà ! répondit ma mère, elle ne s’attache à personne ; c’est une âme de boue, sans naturel, sans reconnaissance ! » Ce fut ainsi que se fit la rupture.

« C’est qu’elle voulait me donner à M. Legrainier, qui lui promettait vingt mille francs pour moi, mais qui devaient être remis entre ses mains. Je ne goûtai pas cet échange, auquel je me refusai absolument. Je déclarai que si je n’avais pas de bien, je voulais me servir de mon état et travailler. On me répondit que j’en étais la maîtresse. On m’ôta mes robes, on me laissa sans mantelet ; on me disait qu’il fallait que je me misse en petite ouvrière. On m’interdit la maison. Tout cela me récompensait