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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/163

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D’UN HOMME DE QUANRANTE-CINQ ANS

au lieu de me punir ; j’étais tranquille et contente. Je crois qu’on s’en aperçut quoique je dissimulasse, ou l’intérêt mit du changement dans les idées, à moins que ce n’ait été un effet de l’inconstance naturelle, on reprit l’ancienne manière. Je revins le dimanche à la maison, j’y vis M. du Châtaigner ; il m’aima. On feignit de prêter l’oreille aux propositions d’un mariage dont on était bien éloigné d’avoir le dessein, et on me berça de cet espoir, bien sûr de trouver des causes de rupture, tant qu’on voudrait. C’est ce qui n’a pas manqué. »

Sara glissait légèrement sur l’article de du Châtaigner, je le vis bien. Elle l’avait réellement aimé, mais elle n’en convint pas alors. Cependant elle était persuadée que sa mère n’avait jamais eu l’intention de la marier. « Elle voulait seulement, me dit-elle, en faire courir le bruit dans le quartier, pour relever un peu sa réputation car elle est connue. Tout le monde la montre au doigt et, quand je sors avec elle, j’entends souvent derrière ou à côté de moi : « Pauvre petite ». D’autres fois, on dit assez haut : « Voilà une fille qui ne peut avoir une plus mauvaise compagnie que celle de sa mère ! » Aussi, je voudrais ne jamais sortir, tant je suis honteuse de paraître avec elle.

« Je sais que j’en suis détestée ; elle me regarde comme faisant partie de son avoir, je suis pour elle un être dont elle entend tirer parti, sans égard à ce qui peut en résulter pour moi : honneur, réputation, état futur, santé, tout cela l’inquiète peu. Elle a sacrifié inhumainement ma sœur qui est morte sa victime. Si j’ai tenu à ce que j’ai eu à souffrir, c’est que j’étais, dans ma jeunesse, d’un caractère gai, folâtre, sans souci, sans réflexion. Ma sœur aînée au contraire, était posée, réfléchie ; c’était une personne faite à l’âge de treize ans. Elle prit le chagrin à cœur et elle en est morte !… Que je l’ai regrettée ! C’était ma compagne, mon amie, ma consolation !… Je n’oublierai jamais ses dernières paroles : « Ma chère Sara, tu pleures sur moi ! Ah ! je pleure sur toi avec plus de raison ! Que deviendras-tu entre les mains de notre cruelle marâtre !… Mais je prierai Dieu pour toi : j’espère d’être sauvée, car je meurs martyre. » Et elle mourut une heure après.