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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/176

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LA DERNIÈRE AVENTURE

son, je le demandai pour Sara qui s’y établit à Pâques. Elle fut ainsi logée non chez sa mère, mais chez son papa d’amitié ; car je m’étais chargé du loyer avec plaisir ; il n’y avait rien là qui répugnât à ma délicatesse, tout ce que je faisais, c’était pour ma fille.

Ce fut ici le temps de notre plus grande intimité. Mon attachement se fortifiait journellement par mille petites jouissances, que je n’avais pas encore goûtées. J’étais comme si j’eusse demeuré avec Sara, n’ayant qu’une douzaine de marches à descendre. Il semblait que je l’eusse toujours devant les yeux. Nous avions une conversation muette en frappant au plancher ; c’était le moyen qu’elle employait pour m’avertir, quand elle rentrait, ou quand elle sortait pour aller chez sa mère, ou lorsqu’elle souhaitait que je descendisse pour causer ; je lui répondais, et nous convînmes peu à peu des différentes manières de frapper pour nous entendre, nous dire bonjour, bonsoir, nous envoyer un baiser. Dans les intervalles de ses occupations, elle prenait sa harpe ou sa guitare, et j’avais le plaisir de l’entendre chanter des couplets analogues à nos sentiments. Cependant ce n’étaient point ceux qui me plaisaient davantage ; j’avais un goût singulier pour la romance O ma tendre Musette, sans que je pusse m’en donner de raison, si ce n’est que Sara la chantait à ravir. Mais il y en avait d’autres qu’elle chantait également bien. Aussi, dès que je descendais pendant que Sara était à sa harpe, elle la quittait pour la guitare et me chantait ma favorite en s’accompagnant. Je l’écoutais avec transport et je ne pouvais retenir mes larmes. Voici les paroles de cette romance que je conserve, écrite de sa main :


Air : Défiez-vous sans cesse.

O ma tendre musette,
Musette, mes amours !
Toi, qui chantais Lisette,
Lisette et mes beaux jours !