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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/179

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D’UN HOMME DE QUANRANTE-CINQ ANS

comme un dieu par ces jeunes personnes. Mon amie et ses maitresses se faisaient mille caresses, mais d’un air si vrai, si touchant, que j’en étais ému. Sara, par son aisance, avait cependant la supériorité, quoique les demoiselles Haï fussent de condition, ce qui me prouva qu’elle ne tenait pas d’elles tout ce qu’elle avait d’aimable. On parla de M’lle Lee ; les demoiselles firent un soupir. L’œil de Sara devint humide, puis me tendant la main et venant presque dans mes bras : « Voilà un véritable ami, dit-elle… comme vous êtes de vraies amies… Si vous saviez tout ce que je lui dois !… On le craint à présent plus qu’on ne l’aime ; on craint son honneur, ses connaissances… Je lui dois le plaisir de vous embrasser aujourd’hui ; mais il faut le rendre court… Adieu, chères amies, adieu, adieu. » Elle les quitta aussitôt avec mille marques d’affection, qui lui furent rendues.

Mon bonheur était véritablement diminué, mais je le sentais encore plus vivement que jamais. Je soupais tous les soirs seul à seule avec Sara ; nos entretiens n’étaient plus gênés, et sa mère répétait sans cesse que pourvu que je sois l’ami de sa fille, peu lui importait que je fusse le sien. Mais il s’en fallait bien qu’elle pensât ce qu’elle disait ! Elle commença par forcer Sara de s’habiller pour sortir, afin de faire une connaissance. Elle la menait tantôt au Luxembourg, tantôt aux Tuileries, plus souvent au Palais-Royal, ou aux boulevards du Temple[1]. À la vérité, les premières fois, j’étais invité à les y aller joindre, à l’heure où mes affaires me le permettaient. J’y allai d’abord, ensuite, m’apercevant du but de la mère, je crus devoir m’en dispenser.

  1. C’était une des promenades les plus fréquentées de Paris. Voici ce qu’en dit un contemporain : « Le site est agréable, le coup d’œil champêtre, l’air pur ; les allées y sont plus longues, plus larges, plus majestueuses, et les arbres mieux venus qu’aux anciens boulevards (ceux du nord). On y voit des champs cultivés, on y voit croître la récolte. Il s’y trouve cependant, du côté de la ville, quelques jolies maisons ; on y a même bâti des salles de spectacles… On n’y rencontre presque jamais de voitures, point d’élégants personnages ; mais de bons bourgois, avec leur famille entière, des amants et des maîtresses, dont les mœurs ont l’air aussi simple que leurs habits. » Dulaure. Nouvelle description des curiosités de Paris. Paris, 1786, t. I, p. 72.