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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/178

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LA DERNIÈRE AVENTURE

écoute O ma tendre Musette, je me sens en goût. » Elle prit sa guitare et préluda. Non, jamais accents ne furent si touchants ! « Ah Sara, m écriai-je, tu me ravis ! » Et je fondais en larmes. Sara, en finissant, vint se jeter dans mes bras. « Qu’a mon cher papa, s’écria-t-elle ; que sa fille chérie connaisse toutes ses peines pour les changer en plaisirs ? — Je ne suis qu’attendri, lui répondis-je, et toutes les fois que tu me chantes cette romance, j’éprouve avec autant de vivacité un attendrissement inexprimable… Que ma situation présente est heureuse ! mais hélas, faibles mortels, notre bonheur le plus doux est mêlé de la crainte de le perdre. — Tu le perdras, s’il dépend de moi, quand je perdrai la vie. Ne suis-je pas ta fille, ton amie, ta maîtresse, ta consolation ? — Et le charme de ma vie, ma Sara. Depuis que je te connais, ma santé affaiblie par les chagrins s’est refortifiée ; le bonheur rend la santé, tu me le prouves, fille adorée !… Ah, que je te dois !… Mais d’où vient que cette romance me cause-t-elle un attendrissement si vif ? — C’est que tu serais au désespoir si je cessais de t’aimer ; mais ne crains rien ! les motifs de mon attachement pour toi sont immortels, ils ne peuvent jamais cesser. Ah ! que ne suis-je ton épouse, la moitié réelle de toi-même ? — Tu m’enchantes, tu me ravis par cette idée ! » Elle me donna un baiser, en me recommandant notre O Filii. Le soir, je l’obtins de sa mère, et Valfleuri nous accompagna. L’attente l’ennuya, il alla boire. Sara ne le vit pas plutôt sorti, qu’elle me prit la main pour sortir aussi. « Allons chez Mlles Haï (ses anciennes maitresses). » Je l’y menai avec le plus grand plaisir. J’estimais ces demoiselles, sans les connaître, parce qu’elles me paraissaient avoir donné à Sara une partie des sentiments que j’admirais tous les jours, ou du moins avoir contribué à leur développement. Nous trouvâmes les deux sœurs qui reçurent leur ancienne élève avec transport. L’estime qu’elles lui témoignèrent fortifia la mienne. Je pensai que je n’étais pas le seul qui avait une haute opinion de ma Sara, de ma fille, de mon épouse. Les trois amies causèrent, après que Sara eut fait mon éloge par un mot qui prouva qu’elle l’avait déjà fait en particulier. Je fus regardé