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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/187

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D’UN HOMME DE QUANRANTE-CINQ ANS

ses rives tranquilles. « O ! mon amie ! ma chère, ma tendre amie ! ô ma Sara ! ma bien-aimée ! l’objet d’une éternelle tendresse ! on t’enlève à celui qui t’adore !… Où es-tu ! que fais-tu ! ou plutôt que te fait-on en ce moment, victime infortunée !… » C’est ainsi que je m’écriais. Si j’avais su où la trouver, j’y aurais volé, mais où courir ? On ne m’avait pas dit un mot qui pût m’éclairer… Je revins chez moi, je me jetai sur mon lit, non pour dormir, mais pour donner un libre cours à mes sanglots… Vers les cinq heures, je m’assoupis… Plût au ciel que je n’eusse pas eu ce fatal sommeil… Je crus voir Sara, ses belles tresses blondes éparses sur son sein, les yeux en larmes, me tendant les bras et me disant : « Mon ami ! mon papa ! sauve, sauve-moi ! » Je m’éveille ; le son de sa voix frappait encore mon oreille ; je saute du lit, je cours, je m’écrie : « Sara, ma chère Sara ! Je viens de t’entendre ! Où es-tu, âme de mon âme ! Où es-tu, ma chère fille !…  » Je descends l’escalier, je me précipite ; ma tête était troublée, je croyais avoir entendu Sara… Hélas, je ne trouvai rien !… Je remontai ; je me sentis défaillir ; je me rejetai sur mon lit et je tombai en faiblesse. Il est impossible d’exprimer ce que je souffris ! … Et je n’étais pas encore jaloux !…

La journée qui suivit cette horrible nuit fut encore plus douloureuse ; mon cœur se serrait et ne donnait plus d’essor à mon sang pour le faire circuler ; deux ou trois fois je fus obligé de me secouer, de sauter, pour communiquer à la machine un mouvement extérieur, puisque le mouvement interne ne suffisait plus… Et je n’étais pas encore jaloux ! Et je me croyais encore aimé !… Le jeudi, la nuit cruelle qui le séparait du vendredi, ce jour-là jusqu’au soir, l’attente, la douleur, la crainte, la fureur, la pitié, l’amour, la jalousie me mirent à deux doigts du tombeau…

Enfin, à onze heures, j’entendis une voiture s’arrêter à la porte. (Cruelles voitures ! chacune d’elles, les deux soirées précédentes m’ébranlait jusqu’au fond de l’âme. Oh ! quel supplice, quand on attend, que d’entendre ces perpétuelles voitures ! Elles donnent au premier bruit un rayon d’espoir ; il croit, il fait palpiter… elles passent, et l’âme élevée par elles retombe frois-