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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/188

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LA DERNIÈRE AVENTURE

sée dans l’abime du désespoir, pour être encore soulevée de même l’instant d’après…) À onze heures, j’entendis une voiture s’arrêter à la porte. J’étais en robe de chambre étendu sur mon lit, soupirant, sanglotant. Je saute à terre, j’ouvre, je descends et j’aperçois la mère de Sara avec un homme que je n’avais jamais vu.

Mme Debee fut surprise de me voir. Elle n’avait pas de lumière : je lui en donnai. Je cherchai des yeux ma jeune amie et je ne la vis pas !… On me dit quelle était restée. À ce mot, je remontai précipitamment, sentant bien que j’allais éclater et qu’il ne le fallait pas devant un inconnu. Il partit un instant après et je redescendis. C’est ici une scène… comment la nommerai-je ? Mon cœur n’était plus oppressé, mon sang circulait avec autant de vivacité qu’il avait été gêné les jours précédents. L’œil égaré : « Où est votre fille ? — Elle est restée chez M. Noiraud de Lamontette, qui m’a ramenée à Paris. Il fallait que je vinsse coucher ici, à cause de mes affaires. — Quoi ! vous livrez votre fille à un inconnu ! » Cette femme, cette furie, dont vingt scènes bruyantes m’avaient donné la plus terrible idée, depuis que je demeurais chez elle, ne parut point offensée de mon ton, de mon air ; la vérité, la terrible vérité l’effrayait ; elle trembla, et me répondit avec douceur : « Mais je ne la livre pas ! c’est un honnête homme, celui que vous venez de voir ; il a une petite maison de campagne, où il nous a invitées à passer quelques jours ; nous y avons été sans conséquence. Ma fille vous en a prévenu ? — Moi, madame ! je n’en savais pas un mot. — Ha, la gueuse ! (ce fut sa modeste expression), je lui avais dit de vous en avertir ! Quoi ! elle n’a pas mis un mot sous votre porte ? — Elle savait où vous la meniez ? — Mon Dieu, oui ! nous avons vu trois fois ce monsieur qui m’a ramenée, soit au Boulevard, soit au Palais-Royal, et nous avons accepté son invitation parce que c’est un honnête homme. Ma fille n’est pas revenue avec moi parce qu’elle s’est trouvée mal. — Trouvée mal ! (Ce mot me rappela une autre histoire et troubla ma tranquillité renaissante.) « Elle s’est trou-