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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/198

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LA DERNIÈRE AVENTURE

sera plus chagrine, ni nous non plus… » Le reste de la journée se passa fort agréablement. Le soir, le monsieur nous ramena ; mais comme il se faisait tard, il ne monta pas, sans doute de peur qu’on ne s’aperçut de la bourse.

« Le lendemain, il vint sur les dix heures, savoir comment on avait passé la nuit. Ma mère n’avait pas encore visité ses poches ; elle le reçut avec une politesse aisée, au lieu d’avoir l’embarras de la reconnaissance, ou celui du refus. Il se comporta très honnêtement ; ses manières étaient obligeantes et timides, et sa visite fut assez courte. Il fut huit jours entiers sans revenir.

« Cependant, vers le midi, ma mère ayant fouillé dans ses poches, pour donner de l’argent à ma sœur, à qui elle faisait faire une petite commission, elle trouva la bourse, où il y avait, à ce que je compris alors, vingt-cinq louis. Son étonnement me fit bien rire ! J’allais peut-être enfin lui dire ce que je savais, lorsqu’ayant entendu qu’elle parlait de la rendre, j’en fus si effrayée que je modérai mon envie de parler. Ma mère attendit plusieurs jours avant de toucher à cet argent ; mais enfin, nous étant trouvées dans un grand besoin, à cause des dettes que faisait mon père, elle y prit un louis. Quelques jours après, un second lui fut nécessaire ; de sorte que, lorsque le monsieur reparut le dimanche, avec son ton de politesse ordinaire, elle lui demanda bien si c’était lui qui avait glissé une bourse dans sa poche, mais elle céda aux instances de la garder ; parce qu’elle n’était plus complète, et qu’elle aurait été honteuse de montrer qu’elle y avait touché. Cette liaison se fortifia peu à peu ; et je puis dire qu’il n’y avait rien qui pût nous donner mauvais exemple. M. de Florimond, d’une bonne famille de ce pays-là, mais n’ayant reçu qu’une éducation fort négligée, devint notre société ordinaire ; il nous faisait faire tous les jours de fête des parties de campagne… Six mois s’écoulèrent de la sorte.

« Ce fut à cette époque, qu’étant à nous divertir, il s’aperçut que ma mère était rêveuse. Il voulut en savoir le sujet, disant que s’il fallait qu’elle partît, il aimait mieux en être prévenu que d’être surpris. Ma mère ne voulut pas lui confier ce secret. Il s’en informa aux connaissances de mon père. Il sut que ses dettes le forçaient à fuir encore.

« M. de Florimond, après ces lumières continua de venir. Mon père partit incognito, et nous laissa ; nous n’eûmes plus d’autre appui que le généreux ami de ma mère.

« Le lendemain, M. de Florimond, ayant appris que mon père avait disparu, n’osa se présenter, de peur de faire parler. Ma mère, ne le voyant pas, s’en crut abandonnée ; elle fit quelque argent comme elle put, et alla retenir nos places au carrosse. Le lendemain, M. de Florimond parut dans l’apres-dînée, mais fort triste : il avait appris notre