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LA DERNIÈRE AVENTURE

prochain départ. « Vous quittez cette ville, et vos amis ? » dit-il à ma mère. « Il le faut, monsieur. Je vais rejoindre mon mari à Paris ; nos places sont retenues pour mardi prochain. — Je suis mortifié que votre départ soit aussi prompt ! J’ai affaire où vous allez ; je vous aurais accompagnée. » Il fit ensuite beaucoup de demandes, relatives à nos affaires, pour amener l’offre la plus obligeante et la mieux tournée. Il pria ma mère de vouloir bien se charger de recevoir pour lui, à Paris, un billet de quinze cents livres, dont l’échéance était à la quinzaine. Il ajouta qu’il la priait instamment, en cas de gêne, de se servir de cet argent. Il se retira presque aussitôt, en lui demandant la permission de continuer ses visites jusqu’au départ. Il revint effectivement tous les jours ; il passa la veille avec nous, jusqu’à dix heures du soir, qu’il s’en alla, au lieu de rester pour nous conduire au carrosse. Nous y allâmes seules dans la nuit, fort tristement, et nous partîmes.

« Arrivées à Paris, ma mère prit une chambre garnie, où nous demeurâmes trois mois, sans pouvoir retrouver mon père ; les premières semaines furent cruelles ! Mais au bout d’un mois environ, nous eûmes la visite d’un homme, qui dit à ma mère qu’il avait ordre de lui compter la somme de quinze cents livres, pour retirer un billet qu’elle avait entre les mains. Il demanda bien des excuses d’avoir fait attendre. C’était la faute de ma mère, si elle n’avait pas reçu à l’échéance ; M. de Florimond avait sans doute écrit pour qu’on la payât ; mais elle ne s’était pas présentée, faute de savoir les usages, et il avait fallu s’adresser à la police pour savoir dans quelle chambre garnie elle était logée. On paya en répétant les excuses, et l’homme s’en alla avec le billet.

« Cette somme commençait à nous être indispensablement nécessaire, et elle était donnée si noblement, qu’il y avait un double plaisir à s’en servir. Ma mère qui vit bien que c’était un présent de son ami d’Amiens, pensa que le seul parti à suivre était d’en faire le meilleur usage possible. Elle sortit pour louer un logement, et le meubler ; elle acheta le plus étroit nécessaire (car elle a toujours été ménagère), et nous nous trouvâmes enfin chez nous, grâces à M de Florimond.

« Cependant quinze cents livres ne sauraient durer éternellement, lorsqu’une femme, qui se met à la mode, est obligée de prendre là-dessus son entretien, et celui de deux enfants. Pour hâter la fin de sa bourse, il lui arriva la catastrophe la plus douloureuse : nous tombâmes malades, ma sœur et moi. Je parus d’abord la plus mal : c’était une fièvre maligne, la pourpre, la petite vérole et une fluxion de poitrine. Ma sœur n’était qu’accablée ; mais elle était moins forte. Nos fonds s’éclipsèrent avec rapidité ; la misère et le chagrin allaient nous assaillir, quand notre ami d’Amiens, qui sans doute veillait sur nous, arriva pour nous secourir. Il s’informa sur-le-champ de la situation de nos affaires,