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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/201

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HISTOIRE DE SARA

et quoiqu’il fût fort jeune, et borné dans ses moyens, il paya tout d’un air qui marquait la plus grande affection pour ma sœur et pour moi. Sans lui, nous étions perdues toutes trois. Il ne s’en tint pas à ces dépenses ; fort souvent, il mettait de l’argent dans le tiroir d’une commode, ou ailleurs, suivant qu’on se trouvait placées ; car il ne voulait pas être vu. Si c’était un présent en effets, jamais il ne les donnait ; il se contentait de les placer dans un endroit où on ne pût manquer de les apercevoir, quand il serait sorti. Le jour où j’étais le plus mal, il vint le matin ; on croyait que je ne passerais pas la journée. Ma mère nous gardait elle-même ; il y avait alors vingt nuits qu’elle ne s’était déshabillée ; il la pria d’aller se reposer, offrant de la remplacer auprès de ses deux malades ; mais elle refusa. Il resta donc avec elle, tâchant de lui éviter les moindres peines. Il alla chercher le chirurgien, et le pressa de nous donner quelque chose. Comme j’étais désespérée, on proposa de me saigner, mais d’une manière indifférente. Notre ami saisit cette idée et força, pour ainsi dire, le chirurgien à le faire. Ce fut ce qui me sauva ; je le fus six fois, ayant été soulagée dès la première, et à la sixième, je me portais bien, à la faiblesse près.

« Il n’en était pas de même de ma sœur : elle ne pouvait ou ne voulait rien prendre, étant très délicate, depuis qu’elle avait tant souffert avec mon père. Cependant elle se rétablit un peu ; mais pour essuyer un sort qui fait frémir ! Ce malheur n’arriva qu’après le retour de l’ami de ma mère à Amiens.

« Qui n’aurait pas regardé ma maman comme une bonne mère d’après sa conduite à notre égard ? Mais, hélas ! on ne vit jamais d’aussi grandes disparates !… Ce n’est qu’une femme, qui est abandonnée de son mari, et qui, ayant de la figure, est recherchée par les hommes, qui la corrompent et lui ôtent les bonnes mœurs !

« J’ai dit que M. de Florimond était jeune et peu fortuné : son retour dans sa patrie laissa ma mère à elle-même ; elle savait sur quoi elle pouvait compter de sa part, et n’y vit pas une ressource suffisante. Ainsi, ne sachant rien faire, n’ayant aucun soutien de mon père, elle embrassa la vie d’une femme du monde. Dès que M. de Florimond fut parti, et même avant, elle reçut des hommes. Elle a toujours eu le goût des connaissances imprévues et subites ; elle en faisait journellement de pareilles, et elle nous les donnait pour anciennes, surtout à ma sœur. Notre maison fut très fréquentée ! Fort souvent on venait pour badiner avec nous. Ma sœur s’ennuyait ; pour moi, je riais ; je faisais la folle, à moins que le badinage ne me déplût ; alors, j’égratignais, je mordais ; au point qu’un jour un monsieur me donna un coup de pied qui me renversa. Mais on en voulait surtout à Maria-Elisabetha : elle était d’une figure qui fit son malheur, en l’exposant à être désirée des