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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/214

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LA DERNIÈRE AVENTURE

jardin. Le cœur de cette fille palpita de plaisir. Il entra. Elle vola au-devant de lui. Nous nous promenâmes : elle ne le quitta pas. Quelle odieuse effronterie, après ses promesses, sa conduite envers moi ! Comme cette conduite démentie sentait la courtisane ! la fille perdue !… Nous nous mîmes à table ; je dois le dire, la perfide osa poser encore son pied sur le mien, quoiqu’elle répondit aux afféteries indécentes et ridicules de mon rival. Cet égoïste, qui s’aperçut qu’il la captivait, s’efforça de l’engager à s’afficher devant un de ses amis, un Sirjean, huissier, invité pour être témoin de son triomphe, quoique à son arrivée on eut feint de ne pas l’attendre : ils s’étaient quittés en chemin, et l’un était venu par le devant de la maison, l’autre par le jardin. Les convives étaient dépeints avant qu’on les vit, et nous fûmes tous trois, pour cet étranger à notre égard, des objets de curiosité. Sara ne sentait rien de tout cela ; elle faisait la fille devant Lamontette, devant l’étranger, devant moi. Au milieu du diner, je n’y pus tenir, et j’allai me mettre à une croisée dans le corridor, où mes larmes coulèrent, en voyant les gens qui allaient se divertir, chacun avec leur amie : « Infortuné ! moi seul, qui ai tout fait pour la mienne, j’en suis abandonné ! L’ingrate m’oublie, elle change après tous ses serments !… » Un instant après, je me disais à moi-même : « Il te sied bien d’aimer à ton âge ! Hé ! rougis de tes larmes, de ton attachement ! Que regrettes-tu ? Les sentiments qu’elle avait pour toi ? Ha ! si elle les avait eus, elle les aurait encore ! Tu n’avais rien ; tu n’as rien perdu, qu’une illusion trompeuse !… Hélas ! cette illusion était tout mon bien, et je ne l’ai plus ! Elle pouvait toujours durer, et la voilà détruite ! Sans ce malheureux homme, qui est venu me l’enlever, je l’aurais encore ! » Puis, par retour sur moi-même, me rappelant ce canton où je faisais mes parties avec Zéphire et mes amis, je fondis en larmes, en étouffant ce cri : « Ho ! ho ! infortuné ! quelle métamorphose tu as éprouvée ! Celle de Circé n’était pas plus humiliante, plus dégradante ! » Et je me désolais !… Je rentrai au bout d’un temps fort long, et ce fut pour être témoin de nouveau des préférences de Sara