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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/213

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D’UN HOMME DE QUANRANTE-CINQ ANS

considérable de Paris pour qu’il ne fût pas naturel de revenir le même jour. Ainsi, la curiosité, ma jalousie qui me forçaient à suivre Sara, tout me déterminait à l’y accompagner. D’ailleurs, la mère, en partant vers les onze heures, m’avait promis d’en revenir le soir, et j’espérai que ma présence l’engagerait à tenir sa parole. Le chemin ne fut pas d’une demi-heure ! J’en fus surpris ! … À notre arrivée, mon rival était absent. Je tâchai d’être gai. C’était un garçon, un homme à marier ; il y avait des espérances, non pour le mariage, auquel il avait déclaré qu’il ne pensait pas, mais à une liaison telle que la mère la désirait. Il avait offert (disait-on) de faire bourse commune. On entendait par là qu’on puiserait quand on voudrait dans la sienne : pour lui, c’était autre chose qu’il entendait ; voyant des femmes bien mises, il les crut riches à proportion ; il se proposait de faire avec elles dépense commune, chacun fournissant de son côté, et les deux dépenses réunies devenant moindres que séparées. C’était un homme d’esprit : cependant, quelle sottise ! Elle égalait au moins la mienne ! Quoi ! il s’imaginait que si on avait eu l’aisance qu’annonçait la mise, si on avait été honnête, comme on voulait le faire paraître, on lui aurait jeté à la tête une fille charmante ! On l’aurait presque raccroché au boulevard ! Pauvres insensés que nous sommes, nous perdons la tête quand une femme nous plait, et il n’est pas de chimère que notre imagination ne réalise !… Ainsi, on ne s’entendait pas, et ce fut mon malheur (dans les idées que j’ai conservées depuis un si long temps) ! La mère et la fille espéraient une bourse ouverte, et comptaient même encore sur moi (quoiqu’elles fissent tout ce qu’il fallait faire pour m’aliéner). De Lamontette s’imaginait faire une connaissance bourgeoise ordinaire. Il voyait qu’il avait plu à la fille, et il espérait tirer parti de cette inclination… Je ne te laisserai pas ton erreur, trop heureux rival ! Je vais faire luire à tes yeux l’incommode et fâcheuse vérité ; non telle qu’elle est (je ne la connais pas encore), mais telle que je la sais !…

De Lamontette avait été au-devant de nous ; et, après une attente qui parut longue à Sara, nous le vimes arriver par le