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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/216

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LA DERNIÈRE AVENTURE

envers le Noiraud, portées jusqu’à l’impudence. Et cependant elles ne détruisirent pas mon amour !… Mais il fallait que ma douleur s’exhalât ; sans le vouloir, sans y penser, amené par les circonstances, je vais porter le coup mortel à la passion de mon rival, à son bonheur ; je vais renverser les desseins de ma cruelle ennemie, la mère de Sara ; je vais ôter à celle-ci un espoir dont elle commençait à se flatter.

Nous sortîmes. La mère que je détestais, s’empara de moi, pour que sa fille eût l’inconnu. Nous allâmes nous promener dans un jardin : là, mon rival laissa courir Sara, qui voulait cueillir des fleurs avec les jardinières, filles de l’hôte, et il m’accosta. Il me trouvait concentré ; la jalousie qu’il excitait rebondissait contre son cœur : il chercha donc à me pénétrer, tandis que son ami entretenait la mère, et que Sara aidait aux jeunes jardinières à cueillir des roses.

Quoique je le haïsse, on connait les amants : ils aiment tant à s’occuper de leur objet, qu’ils préfèrent d’en parler à leur rival (dussent-ils par là se nuire à eux-mêmes), à garder un prudent silence !… J’avais dans le cœur trois ou quatre passions ; l’amour, la haine, la jalousie, la vengeance ; c’étaient ces quatre mouvements combinés qui commandèrent à ma langue. Je commençai par écouter l’amour, et il me fit dire tout le bien que je pensais encore de Sara. Mes larmes coulèrent. « Vous l’aimez ! » me dit-il. « Je l’adore ! » m’écriai-je. Imprudent ! qui me nuisais ainsi à moi-même et qui donnais un nouveau prix à Sara, par la violence de ma passion !… Je la peignis, cette fille que j’aurais dû connaître, comme je la voyais, et je la voyais encore en amant ; je la représentai comme une fille aimable, intéressante, pleine de candeur, vertueuse par principes, autant que par caractère ; mais souverainement malheureuse par là même. Alors la haine s’emparant de mon cœur, en songeant à la mère, je peignis celle-ci comme je la voyais aussi : qu’était-ce, en effet, qu’une appareilleuse infâme, qui vendait sa fille ? Je dis tout ce que je savais de l’homme du Palais-Royal ; de l’homme aux vingt mille francs ; je dis ce