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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/217

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D’UN HOMME DE QUANRANTE-CINQ ANS

qu’elle m’avait proposé à moi-même en m’offrant sa fille ; je parlai de M. Dumont ; je fis entendre à mon rival ce qu’on attendait de lui. « Cette fille aimable et douce, » lui dis-je en suffoquant de douleur, « elle est à vendre ! — Elle est à vendre ! » s’écria-t-il. « Oui, à vendre ! La voulez-vous acheter ? — Non, non ! elle m’intéresse infiniment ; mais je n’achète pas ; je rougirais de solder l’objet de mon attachement. — Il faut donc y renoncer, » lui dis-je. « Non, elle m’intéresse trop, d’après ce que vous venez de m’en dire. — Ha Dieu ! » pensai-je, « devais-je donc la louer avec tant d’enthousiasme ! » En ce moment Sara, un tablier de jardinière devant elle, un petit panier à la main, s’approcha de nous, cueillant des roses. La voilà ! dis-je à Lamontette. « Oui, feignons de parler d’autre chose. » En même temps, il me répondit comme si nous eussions agité quelque question de physique. Lorsque Sara fut auprès de nous, nous nous empressâmes tous deux à la louer, à lui dire des choses agréables. Les sourires ne furent que pour mon rival, quoique mes expressions fussent beaucoup plus flatteuses que les siennes. Elle s’éloigna. Cependant, comme Lamontette me montrait de l’amitié, surtout les sentiments les plus honnêtes, il m’inspirait une certaine confiance : je lui dis que je me félicitais que ma jeune amie fût tombée en d’aussi bonnes mains. De son côté, il protesta qu’il n’avait pas d’amour ; qu’il n’entrait rien de relatif à cette passion, dans la liaison qu’il se proposait de former ; en un mot, il me parla comme un homme d’esprit, qui est sûr d’être aimé, parle à un homme faible, qui voit qu’il ne l’est plus et qui en est au désespoir. Il faut ici rendre justice à mon rival : sa conduite fut généreuse à mon égard, au moins par les apparences ; et, dans le commerce de la vie, on doit beaucoup à ceux qui veulent bien les observer ! Mon entretien avec Lamontette dura plus de trois heures : je ne pouvais me lasser de parler de Sara, que je voyais bien qui m’échappait ; en parler me semblait en jouir encore, et mon rival, de son côté, croyait ne pouvoir être trop instruit sur le compte de deux femmes avec lesquelles il avait commencé de se lier.