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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/223

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D’UN HOMME DE QUANRANTE-CINQ ANS

compatissant tour a tour. Dans une autre position que la mienne, cela m’aurait amusé. Je partis enfin, au bout d’une heure de redites. Et Lamontette, en rentrant auprès des deux femmes fit le matamore : il dit de grands mots sur de très petites choses, fit des amphigouris sans fin sur ce que nous avions dit ; se déclara le champion, le Don Quichotte de Sara : « Si quelqu’un ose mal parler de ma fille » (c’était la fille à tout le monde ! un peu plus moi pourtant qu’aux autres, comme on le verra, puisque sa mère était la Lambertine de la dame Chéreau…)[1] « après m’en avoir dit du bien, il aura affaire à moi !… Des gens… des hommes… des philosophes… Qui le croirait !… Mais si jamais… Nous nous verrons… Ho ! je le verrai… Y allât-il de ma vie !… » On me répéta ces propos le lendemain ; on eut soin d’y ajouter (et Sara me le confirma dans la suite) que Lamontette était la plus forte lame de la France ; elle croyait m’épouvanter… Comme si la fureur jalouse, quand elle a décidé de se battre, regardait à l’habileté ! Toutes les fois que j’ai réfléchi depuis à cette conduite de Sara, elle m’a indigné. Non, au prix de mon sang, de ma vie, je ne voudrais pas déshonorer l’autel où j’ai sacrifié : mais quel ménagement doit-on à la plus vile des créatures, à la plus infâme, à la plus basse ; qui s’est elle-même avilie ; qui, non contente de sa turpitude, y a joint l’hypocrisie des vertus !

Je m’en revins fort mécontent de moi-même, après cette conversation. Le lendemain, je fus très agité.

Le soir, la mère de Sara eut affaire à la maison ; elle laissa sa fille seule avec Lamontette, avec un homme qu’elle ne connaissait que depuis quinze jours, et dont elle m’avait dit tant de mal ! J’ignorais son retour. Le samedi matin, encore ému de ce qui s’était passé l’avant-veille, j’allai voir Sara. Je la trouvai seule assise auprès de la fenêtre. (Lamontette a dit depuis qu’ils étaient épuisés de jouissances.) Elle me salua de cet air froid, auquel je commençais à m’accoutumer. « Ma mère est à Paris, me dit-elle. — À Paris ! Je l’ignorais ! » Je vis dans ses yeux qu’elle ne me

  1. V. la Vie de Monsieur Nicolas, t. III, pp. 39 a 51.