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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/227

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D’UN HOMME DE QUANRANTE-CINQ ANS

pondais, et dont elle était la colporteuse plus que fidèle. La mère et la fille égayaient ensuite leur méchanceté de tout ce trigaudage ; c’était le seul plaisir de leur goût, et ce temps fut sans doute le plus heureux de leur vie. Et j’avais cru Sara un ange !…

Après toutes ces découvertes, que pense-t-on que je fis ? Je sentis qu’il m’était impossible de vivre sans une illusion, dont Sara resterait la maitresse. Au lieu de concevoir pour elle l’indifférence qu’elle méritait de ma part, je passai la journée où elle devait revenir de chez mon rival, à former des projets, pour me mettre à sa discrétion. Plus de cette fermeté mâle qui fait l’homme : elle m’avait abandonné… J’attendis son arrivée avec impatience : ce ne fut qu’à neuf heures et demie… Pourquoi cette faiblesse ? On le présume par un mot que j’ai dit.

Tous les glaçons du Nord parurent sur le visage de l’ingrate, et je lui fis l’honneur de croire qu’elle me haïssait. Encore animé contre de Lamontette, je ne le ménageai pas devant la mère ; je croyais le connaître, d’après ce que cette femme m’en avait dit : je le peignis sous des couleurs capables d’effrayer des femmes, que l’obliquité de leurs vues n’eût pas rassurées, si je n’avais tenu d’elles tout ce que je savais. (Comme elles durent en rire !) Cependant Sara paraissait furieuse. Elle ne me parla qu’en me lançant de ses yeux la foudre et les éclairs. Mais j’étais trop ému pour y faire une attention suivie ; j’en sentis seulement son injustice davantage : car je m’enflammai peu à peu, indigné de voir celle qui m’avait promis son attachement et sa confiance, se rire de mes peines, les braver, les irriter, en prenant ouvertement le parti de mon rival. Je sortis des bornes : Sara, qui m’avait toujours vu tendre, qui ne savait pas sans doute combien l’indignation jette loin d’elle-même une âme honnête et franche, Sara ne s’attendait pas à ces terribles reproches !… Elle était assise vers la croisée, à côté d’une table à thé ; sa mère était de l’autre ; j’étais debout devant elles. Je gardai un moment le silence ; mon âme se concentrait, pour s’échapper avec plus de furie : « Voilà donc, m’écriai-je d’une