Aller au contenu

Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/228

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
222
LA DERNIÈRE AVENTURE

voix altérée, cette fille qui devait m’être attachée jusqu’au tombeau ! dont j’étais le conseil, le guide, le père, l’appui ! la voilà ! trois jours l’ont changée ! En trois jours un inconnu lui a tourné la tête ! Elle en est folle ; elle l’adore, et elle ne croit lui bien montrer sa ridicule passion, qu’en marquant à son ancien ami la plus noire ingratitude !… La voilà, cette fille dont la physionomie annonçait la candeur… Fille fausse qui n’a jamais dit un mot de vérité, je te connais enfin, mais pour te vouer le plus parfait mépris !… » Elle voulut parler. Je m’élançai vers elle ; je levai la main… Les filles de l’ordre de Sara ne connaissent pas la dignité de leur sexe ; cette physionomie naturellement si noble, devint basse ; Sara fit un geste de frayeur, et poussa un petit cri : « Ne me frappez pas !… » Sa mère gardait le silence ; mais elle s’élança pour se mettre entre sa fille et moi. Je m’arrêtai, et jetant sur cette Sara, naguère adorée, le regard de l’indignation : « Je m’abaisserais, repris-je, à te traiter comme tu le mérites. Reste dans le mépris auquel je t’ai vouée ! » Sara était immobile et pâle : point de ces élans de l’innocence, qui repousse l’outrage ; elle demeura muette. Je sentis alors à quel point elle était vile : j’en fus pénétré ; mes larmes coulèrent. « Vous ai-je été chercher ? dis-je avec plus de douceur. Hélas ! j’étais tranquille, dans un état de mort, il est vrai, depuis mes derniers malheurs ; mais j’étais tranquille. Vous venez me trouver ; vous m’offrez une amie charmante, et surtout sensible ! Je vous crois ; mon âme avide d’aimer se livre à vous avec confiance ; elle s’attache ; elle est heureuse… oui, vous m’avez rendu le plus heureux des hommes !… mais était-ce donc par raffinement de cruauté ?… Ho ! je le crois, puisque vous déchirez avec violence les liens qui attachaient mon âme à la vôtre !… Il faut donc cesser… de vous… voir ; de vous… aimer… J’en mourrai sans doute !… Malheureux que je suis ! tout se tourne contre moi, jusqu’aux douceurs les plus efficaces de la vie ! L’amour, l’amitié, la nature ont empoisonné la mienne ! Être infortuné, jeté dans le monde pour aimer, j’ai toujours mis mon bonheur à l’être, et je n’ai trouvé que des ingrats !… Vous avez raison.