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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/233

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D’UN HOMME DE QUANRANTE-CINQ ANS

charmante. L’espérance d’être bientôt avec mon rival était la cause de sa gaité ; je le vis, j’eus la certitude que je devais jusqu’à ses caresses, à son inconstance. Elle reprit, non son ancienne confiance, mais son ancienne familiarité ; mon faible cœur, averti par ma raison, était quelquefois tenté de la repousser ; il n’en eut pas le courage…

Ce fut l’un de ces trois jours que je lui parlai de son Histoire, que j’avais trouvée dans sa bibliothèque. Au premier mot que j’en dis, je m’aperçus d’un certain trouble de mécontentement que je fis disparaître en louant quelques détails, particulièrement le récit du malheur de sa sœur aînée, et la peinture touchante des regrets qu’elle eut en voyant son cadavre. « Ces deux endroits, lui dis-je, sont pleins de force et d’énergie ; ils annoncent du talent. » Je parvins ainsi à dissiper son mécontentement. Mais je compris qu’il ne fallait pas lui avouer que j’avais copié cette histoire, toute déguisée qu’elle m’avait paru. Elle m’annonça son voyage du lendemain chez mon rival, en me priant de ne point m’en affecter. Elle me jura qu’elle l’estimait, qu’il n’avait pas d’amour pour elle, qu’elle n’en avait point pour lui, et que leur liaison était une connaissance ordinaire. Je ne la crus pas ; le baiser de la nuit lui revenait à tout moment, je le trouvais une preuve complète, et il l’était.

Je commençai, dans ce temps-là même, à éprouver des sentiments contradictoires ; je ne pouvais vivre sans voir Sara, que la raison me disait de quitter ; je sentais qu’il le fallait. En sortant d’avec elle, j’en formais la résolution, mais semblable à ceux qui promettent de pratiquer la sobriété en quittant une bonne table, et qui violent leur propos dès que l’appétit est revenu, je ne pouvais passer une demi-journée sans désirer de voir l’enchanteresse. Mes conversations avec Sara que je n’estimais plus, avaient perdu leur charme ; avide du plaisir ravissant qu’elle m’avait autrefois procuré, je croyais encore la retrouver quand je venais auprès d’elle ; mais, trompé dans mon attente, à peine la voyais-je que j’étais rassasié, ennuyé de son entretien et, dans ces moments, ma raison fortifiée se faisait entendre par-dessus