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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/232

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LA DERNIÈRE AVENTURE

qu’elle n’avait pas fait dans le temps de notre plus grande intimité. Elle monta chez moi…

J’aimais encore, sage lecteur ; j’étais dans l’égarement, dans la jalousie, dans la douleur de l’infidélité, de l’abandon ; pardonnez-moi une coupable conduite, que je n’expose à vos yeux que pour m’en humilier et vous être utile !… Le crime porte sa peine avec lui ; cette faveur, si ardemment désirée, tourna contre moi…

Que je me trouvai d’abord heureux ! J’oubliai toutes mes peines… Sara était dans mes bras… Au milieu de la nuit, dans un instant de sommeil interrompu, je lui pressai la main. Elle s’éveille à demi ; sa bouche de rose presse la mienne… Transporté d’amour, à cette faveur inattendue, je m’écrie : Mon adorable Sara ! ma fille ! mon amie ! » Le son de ma voix me fit reconnaître. Elle soupira ; elle me repoussa… Dieu ! quel horrible sentiment j’éprouvai, à cette pensée désespérante : « Elle m’a pris pour mon rival ! » je me levai ; je m’habillai ; mon cœur déchiré poussait au dehors des sanglots et des larmes. Sara n’en fut point émue. Je vis, avec un sentiment d’étonnement et d’horreur, quelle s’était méprisablement donnée ; ce qui m’avait paru la plus grande faveur, devint à mes yeux, en ce moment, le type de sa honte… Je la laissai s’habiller. Ensuite, venant auprès d’elle, je lui dis avec une sorte de fermeté : « Je vous aime encore ; mais je vous jure qu’à dater de cet instant, jamais je ne vous demanderai de faveurs : je croirais vous trop avilir, en vous obligeant à vous partager. Vous êtes à Lamontette, je le vois : vous m’en avez donné une preuve irrécusable ; je ne veux rien avoir de commun avec lui… Ha ! Sara !… — Je ne sais ce que vous voulez dire… Au reste, vous ferez bien de ne plus me tourmenter ; je m’y refuserais… Je suis charmée que vous m’aidiez à être vertueuse… » J’étais outré, mais plus contre moi que contre Sara. Je l’aimais encore, je l’adorais sans l’estimer !…

Je n’ai pas violé ma résolution ; mais la vue de Sara était encore le plus grand de mes plaisirs ; j’en jouis avec une sorte d’avidité les trois jours suivants, surtout le dernier, qu’elle fut