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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/237

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D’UN HOMME DE QUANRANTE-CINQ ANS

arrivée je n’en ai plus ; mon papa, mon soutien, mon guide, mon appui le chasse et l’empêche d’oser se montrer !… Que j’ai de plaisir auprès de vous ! » ajoutait-elle quelquefois ! « Quel bonheur m’a procuré notre liaison !… » Ha ! quelle âme engourdie et féroce n’aurait pas été touchée de ces sentiments honnêtes et délicats ? Et comment, un cœur aussi sensible que le mien ne se fût-il pas livré tout entier ? « Le bonheur m’attendait sur mon retour, me disais-je souvent, et c’est par l’amour, dont je n’avais plus rien à espérer, c’est l’amour dont j’ai tant eu à me plaindre, qui va me le procurer enfin ! C’est que jamais je n’ai connu de femme qui valût ma charmante amie. » Hélas ! je suis bien détrompé !…

Le mercredi matin, Sara se montra plus chagrine que jamais ; son âme était navrée de douleur, son cœur gonflé d’indignation contre sa mère et contre moi. Elle aurait voulu que j’aidasse moi-même à déterminer Mme Debée à se rendre chez mon rival, à l’accueillir (ou plutôt c’était ce qu’elles voulaient toutes deux pour me conserver). À quel rôle indigne les femmes veulent nous réduire, lorsqu’une fois nous leur avons laissé voir l’empire qu’elles ont sur nous ! Dans l’après-dinée, Sara me pressa d’employer mon crédit et mes amis, pour lui faire avoir de l’ouvrage. « Je veux travailler, me disait-elle, je vivrai contente au sein de la médiocrité, de la misère même ; cherchez-moi de l’ouvrage. » Ces sentiments étaient nobles, je ne pouvais que les encourager ; aussi ne différai-je pas d’un instant ; je sortis, je m’empressai, je vantai les talents de Sara, je m’honorai d’avoir cette commission de sa part. On accueillit ma demande ; toutes les femmes à qui je m’adressai s’intéressèrent pour ma pupille (c’est ainsi que je la nommais). Je revins annoncer ces nouvelles à Sara ; elle en parut comblée ; mais le soir même, j’appris que le lendemain elle devait aller chez mon rival. Je conçus que lui seul était la cause de son ennui, de ses résolutions généreuses, de la joie qu’elle avait montrée à mon retour. (Je vois clairement aujourd’hui, en imprimant, que tout était feint, tout était joué !) Sara, ou du moins sa mère, était riche ; elle jouait également la pau-