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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/245

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D’UN HOMME DE QUANRANTE-CINQ ANS

dates devinrent journalières ; j’allais soupirer sur mon île chérie, j’y écrivais chaque événement en abrégé, la situation gaie ou douloureuse de mon âme lorsque je fus malheureux. C’est ainsi que, sans le savoir, je prolongeais mon attachement pour Sara, en entretenant ma sensibilité. Que tout cela serve aux autres ; car pour moi, je ne me nourris plus que de douleur !… Tandis que j’écrivais ce récit, l’on me remit une lettre à l’adresse de Madame Debée-Leeman, rue de Bièvre, où nous demeurions tous ensemble. Je la reçus, bien tenté de rendre à la mère de Sara ce qu’elle m’avait fait tant de fois, à l’aide de son Florimond ; elle lui faisait décacheter toutes les lettres pour moi, et il les lui lisait, avant que de me les remettre. C’était de Sara que j’avais appris ce trait. Ce n’était alors qu’une indomptable curiosité ; car nous n’étions pas encore liés. (On voit que Sara n’avait pas ménagé sa mère !) Je résistai ; mais je vis cette lettre comme je vais dire.

Mon infidèle et Mme Debée revinrent le soir, suivant la promesse de la dernière. Sara parut de l’humeur la plus aigre, sans doute parce qu’elle avait été forcée de revenir le jour même. Je ne la saluai qu’en passant, de cet air affligé, presque niais, qui éloigne encore davantage de l’amant qu’on a quitté : la comparaison qui se fait naturellement alors de sa triste timidité, de son air larmoyant, à la gaîté, à l’enjouement, aux vives saillies d’un rival heureux, le fait paraitre aussi ridicule que haïssable. Je descendis vers la mère avec empressement : on s’attache où l’on peut, quand on se noie… et je lui remis la lettre. Elle me pria de la lire : je le désirais ; elle était, en effet, de mon rival, et pour Sara :


21 juin 1791.

« Si Pépé avait attendu d’autres personnes à la campagne que Fifille et madame sa mère, il n’aurait pas pu se persuader que le billet qu’il vient de recevoir fût de ces dames. Après avoir flatté un galant homme de lui faire l’honneur de venir chez lui, lui écrire de cette manière, ha ! Fifille, cela n’est pas bien ! Sûrement, madame votre mère vous gronderait d’avoir écrit si lestement. Mais Pépé est plus fâché ne pas voir ces