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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/251

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D’UN HOMME DE QUANRANTE-CINQ ANS

campagne tant qu’ils veulent, au lieu que les autres sont obliges de la quitter à l’instant où ils commencent à s’y amuser ! » Je devinai, par ce discours, tout ce que la maladroite voulait me cacher. Aussi me comporterai-je en conséquence le lendemain dimanche.

On sait que Sara était dans l’usage de me frapper, pour me dire bonjour ou bonsoir, ou pour m’avertir, lorsqu’elle avait quelque chose à me communiquer. Il m’était quelquefois arrivé de ne pas lui répondre, par des raisons bonnes sans doute, qui m’avaient porté à chercher à rompre ; et je me rappelle qu’un soir, avant la connaissance de Lamontette, un propos trop libre de la part de Sara m’ayant révolté, j’avais résolu faiblement de me retirer : le lendemain matin, je ne répondis pas à son bonnjour. Elle m’aimait alors ; elle feignit de s’occuper sur l’escalier, jusqu’à ce que je parusse ; et alors, de l’air le plus tendre et le plus enchanteur, elle me fit moins de reproches qu’elle ne me témoigna son inquiétude pour ma santé. Je ne pus tenir à cette marque de tendresse ; je me rengageai plus fortement que jamais. Le dimanche matin où j’en suis, Sara frappa. Je ne répondis pas d’abord ; elle ne se rebuta pas. Je sentis qu’il ne fallait pas avoir l’air de bouder en enfant ; je frappai à mon tour, faiblement, à chaque fois que Sara m’honora de son attention, mais sans jamais descendre. Je ne la vis qu’à l’instant du diner. Je la saluai en riant, et je passai sans m’arrêter.

Le soir, nous soupâmes ensemble, suivant notre usage, même dans nos plus grands refroidissements, et elle me reprocha ma conduite avec un ton d’aigreur, auquel je ne répondis que par des douceurs et des excuses. Mais l’orage se formait insensiblement. Plus Sara me marquait de froideur, plus je devenais jaloux et furieux contre mon rival. Cependant le lendemain lundi, nous nous parlâmes avec amitié. J’avais déjà observé que toutes les fois que Sara devait voir de Lamontette, elle était plus enjouée avec moi. Le soir, arriva cet homme que je haïssais avec tant de violence… hélas ! Pourquoi ? Parce qu’il était aimé de mon infidèle, et qu’il en profitait !… N’aurais-je pas dû plutôt le plaindre ?