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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/250

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LA DERNIÈRE AVENTURE

Vous ne connaissez pas notre sexe ! (Elle avait raison, lecteur, cette femme méprisable ; ce n’est point une bête, elle a de l’esprit, et elle m’a souvent étonné !) Il faut le mener, quand on ne veut pas qu’il mène. Je vous parle vrai ; vous m’intéressez : au fond je vois que vous êtes un excellent cœur, je vous adorerais, moi, à la place de ma fille ; mais ça n’a pas encore le caractère formé. Le présent d’aujourd’hui, si mal reconnu, m’indigne contre elle, et me fait vous plaindre ; vous méritiez mieux que ma fille. — Elle n’en a que la moitié, madame ; j’ai juré de ne donner l’autre, qui est la plus précieuse, qu’à la femme dont je serai sûr. — Pauvre homme ! ce ne sera pas une jeune fille. Une femme de mon âge, encore belle, sensée, raisonnable, voilà ce qu’il vous faudrait. — J’adore Sara… malgré moi : elle m’a offert un bonheur auquel je ne pensais plus ; elle me l’a fait goûter… — Ho ! Elle est incapable de se contraindre ! Si elle vous a dit qu’elle vous aimait, elle vous aimait. » Cet entretien se tenait à la vue de Sara, qui ne pouvait nous entendre ; il parut l’inquiéter. Je ramenai sa mère du côté des voitures. « Partons, » lui dis-je. — Oui, partons ; mais c’est une générosité perdue… Monsieur Nicolas ! que n’avez-vous affaire à moi ! Je vous répondrais de votre bonheur. — J’adore Sara. — Soyez donc malheureux ; une jeune fille ne sut jamais apprécier un cœur tel que le vôtre. »

Au retour, je tâchai de paraître gai. Mon rival vint effectivement ; il n’eut pas même le désagrément d’attendre, tant j’avais raccourci la promenade. La mère, surtout Sara, l’accueillirent…

Le surlendemain, Sara me dit qu’elle irait avec sa mère et Florimond déjeuner aux Tuileries, et de là au Temple, pour affaire ; elle me quitta le matin du départ avec un air d’amitié, en me disant qu’elle serait de retour de bonne heure. Je fus tranquille. On ne rentra qu’à minuit. Je me doutai d’un mensonge, d’accord avec la mère, car, le matin, j’avais vu prendre la route de la maison de campagne de mon rival : mais j’en eus la certitude le soir, par l’heure à laquelle on arriva. « Que les gens riches sont heureux ! » me dit l’infidèle ; « ils restent à la