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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/253

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D’UN HOMME DE QUANRANTE-CINQ ANS

là. On descendit dans la salle à manger. J’y suivis la mère de la perfide avec promesse de ne plus m’emporter. Je le promettais avec le dessein de le tenir ; mais je n’en fus pas le maître, en y retrouvant Sara, et je m’abandonnai aux plus grands excès d’emportement dans cette reprise : « Odieuse et perfide créature, qui me préfères Othello ! tu mériterais… » Et je levai la main… On dirait que les femmes comme Mme Debée aiment les scènes de cette espèce. En me voyant furieux contre sa fille, en entendant mes reproches, mes menaces, elle en paraissait glorieuse ! « Voyez comme la beauté de ma fille égare un sage !… » On lisait cela dans son air et dans ses yeux. Au plus fort de ma fureur, un mot m’arrêta, et me fit changer de langage. Ce fut la mère qui le prononça : « Il l’a demandée en mariage. » À ce mot sacré, plus puissant sur mon cœur honnête que les invocations magiques de Médée, je demeurai muet d’abord ; une foule de pensées s’offrit à mon esprit. J’adorais encore Sara : l’idée d’un avantage pour elle l’emporta sur ma passion. « Que ne me disait-on cela ! m’écriai-je ; ceci change tout ! — C’est la vérité, dit Sara, il m’a offert le mariage. — J’ai pensé, mademoiselle (je lui avais auparavant donné les noms les plus odieux), que cet homme voulait non seulement vous tromper, mais vous avilir : sa proposition de mariage, fût-elle une finesse, donne au moins une excuse à vos imprudences. Si pourtant elle était vraie, j’en serais charmé : un pareil établissement serait honorable pour vous. Mais il ne faut pas que cela languisse ! Qu’il vienne ; je n’ai plus le droit de m’y opposer. J’aurais été votre père : un mari est plus que tout cela. Je ne saurais être le vôtre ; mon rival est libre ; il doit être préféré ; c’est moi-même qui me prononce mon arrêt. »

Après une scène aussi violente, on croit que Sara était furieuse contre moi ? Elle avait eu peine à me pardonner la première, qui avait été modérée, en comparaison ; elle oublia celle-ci presque sur-le-champ. Je la remis chez elle ; je lui souhaitai le bonsoir, et elle répondit à mon salut d’une manière obligeante. C’est qu’il est des femmes sans mœurs auxquelles cette conduite