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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/254

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LA DERNIÈRE AVENTURE

convient. Deux querelles encore de la même force, peut-être parvenais-je à m’en faire adorer !… Mais d’après la proposition de mariage, il était nécessaire que je suivisse un autre plan. Ce fut à une séparation absolue que je pensai. Or ma passion n’était pas mûre encore, et sans doute j’eusse agi comme du temps de Butel-Dumont[1].

Cependant je faisais déménager sous différents prétextes ; je profitai de deux visites qu’on rendit à mon rival, pour ôter les gros meubles. J’aspirais à m’éloigner de Sara, comme au bonheur suprême : je la souhaitais chez Lamontette, et moi dans la nouvelle demeure d’Agnès Lebègue. J’agissais comme si j’eusse ignoré que le chagrin nous suit, et qu’on ne le laisse pas dans un logement quitté. Le samedi 14 juillet, on sortit encore ; et je le désirais comme un enfant. Je me hâtai d’achever de tout enlever… Je revins souper le soir avec Sara. Je lui parlai de mes sentiments en homme désintéressé ; je l’assurai que je conserverais à jamais pour elle l’intérêt, l’attachement (je n’osai dire l’estime) que je lui avais voués. En véritable enfant, je feignis de remonter chez moi ; et je sortis, pour aller coucher à mon nouveau logement. Mais cela m’amusait, et m’empêchait de sentir la douleur de l’opération que je faisais sur moi-même.

Le lendemain, je vins voir Sara (que de faiblesses, bon Dieu) ; je lui tins les plus tendres discours : « Ma chère Sara ! lui dis-je, vous connaîtrez un jour ce que je valais. Ma conduite envers vous, ma fille, absent ou présent, sera celle d’un véritable ami. Je vous forcerai à m’aimer, par les procédés que je veux avoir à votre égard ; je ferai en sorte qu’ils vous étonneront, et vous ramèneront enfin à moi. » Et je pensais ce que je disais : Sara n’en croyait rien. Moi, qui parlais vrai, je mentais ; et Sara, qui, à tort, ne me croyait pas, avait pourtant raison… La vérité de l’ivresse est presque toujours mensonge. En cessant de parler,

  1. Butel-Dumont, trésorier de France et censeur royal. Il en est souvent question dans les œuvres de Restif. Voir Monsieur Nicolas, t. III, pp. 204 à 206 et 252.