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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/273

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D’UN HOMME DE QUANRANTE-CINQ ANS

fallait un à son cœur coupable), ce fut la perte de la jeannette que je lui avais donnée, et de ses poires en or, mon premier présent, qui lui était le plus cher, me dit-elle : « Me les auriez-vous reprises, la veille de mon départ, pour rire et me mettre en peine ? » Je ne vis pas tout d’un coup la finesse, et je répondis bonnement que je ne riais pas ainsi. J’allai chez elle, après son départ, et nous cherchâmes : elle trouva sa perte prétendue, à l’endroit le plus visible, sous le pli de sa table à damier. Je fus alors au fait de sa ruse : mais j’en étais flatté. « On m’a demandé permission pour aller, » pensais-je ; on se hâte de venir se montrer, après le retour ; on est apparemment détachée de mon rival. Allons, c’est une marque de changement avantageux… D’ailleurs, elle est malade, il serait cruel, inhumain de l’abandonner étant malade ! » J’ai le malheur d’avoir le cœur, l’âme sensible, et souvent ma bonté, ma compatissance, m’ont rendu la dupe la plus bête, la plus ridicule. Mais je ne rougis pas de ce défaut, j’en tire plutôt vanité. Heureux celui qui n’est dupe que de son cœur ! J’envie autant son sort, que je plains celui de l’infortunée, qui fait des dupes avec sa fourbe et sa duplicité ! …

Je m’attachai donc Sara d’autant plus qu’elle me paraissait avoir plus besoin de moi. Je lui parlai de voir mon médecin, le meilleur des hommes. Elle accepta ; mais elle différait de jour en jour d’y aller avec moi. Cependant la maladie augmentait à vue d’œil.

Un samedi soir, vers les cinq heures, que je venais pour la voir dans notre chambre, elle ne s’y trouva pas. J’entrai chez sa mère, ou je la vis plus mal que jamais. Je témoignai les plus vives inquiétudes. En me reconduisant, la mère parut alarmée : « Voilà, me dit-elle, comme je perds tous mes enfants ! Elle n’en reviendra pas ! » Ces mots, douloureusement prononcés, firent sur moi une impression prodigieuse !… Ho ! Comme j’aimais encore !… Je fus ému, troublé, je fondis en larmes, en quittant la mère, et je courus chez mon ami le docteur.

Arrivé chez Guillebert, je lui exposai la maladie de Sara.