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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/280

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LA DERNIÈRE AVENTURE

Je lui demandai laquelle des deux, de Sara ou de sa mère, le mettait dans la situation où je le voyais ? Il ne me répondit pas. « Je ne puis vous parler, lui dis-je, si vous ne vous ouvrez sur ce point. — Je n’ai à me plaindre ni de l’une ni de l’autre. — Et moi, je n’ai rien à vous dire. » Il fut donc obligé de s’ouvrir un peu, et d’avouer que sa maladie était de la douleur, du chagrin, de l’amour, du désespoir. Ce fut alors que je le consolai. « Vous m’ouvrez les yeux, s’écria-t-il, sur mille choses, que je ne faisais qu’entrevoir !… Elles sont au bal !… Moi, malade, Sara va se divertir ! elle, à demi mon épouse !… Quelle insensibilité, quelle fausseté plutôt !… Il y a vingt-quatre heures que je n’ai mangé : je vais souper… Ha ! Monsieur ! c’est la seconde fois que je suis au désespoir !… Cette épée brisée, l’a été sur moi-même, de ma propre main ! » Je fus touché de sa douleur : moi-même, j’en avais éprouvé une aussi violente, mais sans porter sur mon corps une main suicide… Je le laissai tranquille, à ce qu’il me dit. En effet, il l’était. Ha ! Toute violente qu’il croyait sa passion, il n’aimait donc pas comme moi, s’il fut si tôt calmé ! des semaines, des mois, des années, suffisent à peine pour cicatriser ma blessure !…

Je le revis le lendemain : il était dans une colère tranquille, occupé seulement de la pensée de retirer les gages qu’il avait donnés. Je lui conseillai de voir notre rival Lamontette ; non que je prévisse ce qui devait arriver : j’en étais bien loin ! je le croyais encore ami de Sara ; mais afin de savoir jusqu’à quel point il pouvait tenir à cette fille. Le refusé y alla le dimanche matin : il se nomma ; son nom était connu (Las) ; il commença par sonder Lamontette. Le troisième se tint d’abord sur la réserve. Mais le quatrième trouva un moyen pour le faire expliquer : « On vous a écrit, aux environs du 1er décembre, une lettre de congé, par laquelle on vous priait de vous tenir chez vous ? (Silence ; grand étonnement !) C’est moi qui l’ai libellée ; je l’ai dit ensuite à Sara ; elle m’en a remercié de bouche, et… par écrit. Voilà son billet. » Le troisième lut : « J’ai un conseil à vous demander pour une mère. Je ne veux pas marier ma fille ; mais