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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/281

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D’UN HOMME DE QUANRANTE-CINQ ANS

je voudrais bien garder les bijoux et les présents… » Tout en lisant, le troisième sourit, mais de rage sans doute.

Nous avons tous notre amour-propre, et de Lamontette un peu plus que les autres hommes. Il devint furieux ; et cet avocat, que je croyais encore pénétré d’estime pour Sara ; lui, qui paraissait l’adorer au Boulevard ; qui venait en suppliant la voir chez sa mère ; qui s’abaissait à lui rendre des visites nocturnes dans la chambre qui nous était particulière à elle et à moi, de Lamontette ne put tenir contre une marque de mépris, ou d’indifférence ! Furieux, il s’irrite, il s’enflamme ; il dévoile sa conduite avec Sara… Insensé ! qui ne voyait pas que la dénigrer, c’était se noircir lui-même ! Il traita Sara, de la dernière des créatures ; il se vanta de ses faveurs… Puis, tombant sur la mère, il lui donna le plus odieux des noms ! « Elle m’a raccroché au boulevard ; elle m’a offert, amené, laissé, livré sa fille ! Elle l’a mise à prix, et je n’ai pas tenu l’enchère. C’est elle qui me l’a amenée ; la fille est encore plus gueuse que la mère : le premier jour où je les menai chez moi du boulevard en voiture, la fille sautait de joie, comme si elle eût fait une bonne chasse ; cela fut porté si loin, que sa mère fut obligée de lui dire : Finirez-vous, mam’selle ? que veulent dire ces façons-là ? » Et ce misérable qu’elles ont avec elles, ce Florimond, que la mère traite comme Circé traitait les hommes qu’elle avait changés en cochons, à quel point il se dégrade ! Il est venu me voir un de ces jours, ivre à demi : il en était plus supportable ; ces ivrognes d’habitude ont alors l’esprit du vin, au lieu que, dans les autres temps, ils sont tristement stupides… « Quoi ! lui ai-je dit, un homme de famille honnête, se crapuler ainsi, avec de pareilles femmes !… Vous vous enivrez ; cela est vil, bas ; c’est néanmoins le seul titre que vous ayez à mon indulgence : je vous crois encore assez d’âme, pour chercher à vous étourdir sur votre déplorable situation ! … Mais on dit que vous vous vautrez dans la fange ; que vous revenez à demi-nu ; que rentré, vous couvrez d’injures celle qui est l’auteur de votre désastre ? Quoi ! Vous ne savez l’apprécier que lorsque vous êtes ivre ! Prenez une généreuse