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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/284

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LA DERNIÈRE AVENTURE

brûlé de jalousie, où j’avais vu mon rival préféré… L’ivresse revint. Obligé de les quitter, je m’en revins heureux… Heureux !… Oui, j’avais le bonheur d’un misérable, qui s’est enivré… Je revins le soir sur ma chère île : tout m’y parut changé en beau ; j’y versai des larmes de joie ; j’y écrivis sur la pierre : « Avec Sara au boulevard du Temple, l’anniv. du douloureux 31 mai ! » J’allai ensuite jusqu’à la pointe occidentale. Là, mon cœur exalté s’affaissa ; un mot, un cruel mot ! ou plutôt un favorable trait de lumière me frappa : je me rappelai qu’une femme m’avait averti que Sara, que sa mère devait m’amadouer, pour obtenir de moi l’effet de mes anciennes promesses… Adieu tout mon bonheur ! Mais je ne me trouvai plus la sensation regrettante, désespérante, que j’éprouvais auparavant.

En ce moment, à onze heures, je me retrouvai vis-à-vis l’inscription de l’année précédente ; je la lus à la lueur du réverbère. Tout se retraça… Ce moment fut cruel ! « Tranquille séjour ! m’écriai-je, où je viens, chaque jour, savourer mes plaisirs et mes peines, tu n’entendras plus que des soupirs ! J’ai perdu, une fois encore, la Sara que j’aimais ; car ce n’est plus elle que je viens de revoir ! » Et je m’assis pleurant. Je restais là. J’entendis marcher doucement. « Mettons-nous là dans l’ombre, dit-on fort bas. Je verrai si tu l’es à quatorze ans. — Ho, certainement ! On a voulu ; mais jamais… — Qui a voulu ? — M. Voisin, un ami de mon père. — Que t’a-t-il fait ? — Mais ce que vous faites à présent… — Et ceci ? — Non, non : il craignait de me faire un enfant. » La petite cria. Je me levai pour lors bruyamment, et j’allai écrire sur le mur cette scène. La petite dit à l’homme : « C’est le Griffon de l’île qui écrit sur les murs ! Sauvons-nous ! — Non ! Non ! Je veux t’achever. — Voici le guet ! m’écriai-je. » Aussitôt l’homme (que je reconnus) et la petite fille s’enfuirent à toutes jambes. Mais je les vis rentrer… ils avaient profané ma douleur ; je m’en retournai l’âme desséchée…

Vous avez suivi, ô mon lecteur ! dans ce long récit, la