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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/285

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D’UN HOMME DE QUANRANTE-CINQ ANS

marche la plus forte des passions. Vous avez vu comme elle naît, comme elle croit, comme elle se rengrège, même après les torts, l’indignité connue de l’objet aimé. Vous avez vu ses accès, ses redoublements, ses crises ! Je suis un livre vivant, ô mon lecteur ! Lisez-moi ! Souffrez mes longueurs, mes calmes, mes tempêtes et mes inégalités ! Songez, pour vous y encourager, que vous voyez la nature, la vérité, destituées de tous les ornements romanesques du mensonge.

Le lendemain, j’allai voir Sara. Je proposai pour le soir une promenade aux Nouveaux Boulevards[1], loin de ces Boulevards corrupteurs, encan du vice ; les nouveaux ont encore le rustique de la nature, et l’honnête femme peut y aller seule… On accepta de la manière la plus enjouée. Les dames me précédèrent. Le lieu pour les rejoindre était désigné… En allant seul, une foule d’idées m’occupèrent : « Il y a un an, que le matin de ce même jour, mon sang ne circulait plus ! J’avais le cœur serré de douleur ! Mon rival… triomphant… avait Sara ! Il la voyait tendre… Que j’ai souffert, durant cette année qui se résolve aujourd’hui !… Tout est passé ! Moi seul je reste… Lamontette n’est plus !… L’épouseur n’est plus… Le clerc n’est plus… Le cocher n’est plus… Je reste seul ; je suis accueilli, fêté ; je vais goûter avec Sara… Ce soir, son bras s’appuiera sur le mien, ses soupirs n’iront plus chercher mon rival !… » J’allais allegro, en faisant ces réflexions. De loin, j’aperçus Florimond qui me guettait. Sara se leva pour me découvrir de plus loin ; je la vis sourire. Sa jolie figure était épanouie ; elle me prit le bras… L’ivresse commença de ce moment et j’allai avoir un beau jour !…

Arrivés dans l’endroit du rafraîchissement, la gaité. Nous avions tous peu dîné ; l’appétit rendit ce petit repas délicieux ! On rit, on se dit des douceurs, on y mit le ton de la vérité.

Cependant le soleil précipitait sa course, et la plus belle soirée succédait au plus beau jour. On se lève : « Voilà, dit Sara, le

  1. Ou boulevard du Sud.