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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/290

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LA DERNIÈRE AVENTURE

blent peu ! Il y a un an que Sara revint de chez mon rival, et que je vis que j’avais perdu son cœur… »

Le lendemain, je me trouvai plus ami de Sara que jamais. Nous dînâmes ensemble les deux jours suivants, mais le soir du second, elle parut me voir avec peine. Elle attendait quelqu’un sans doute… Nous traînâmes ainsi, faisant quelques parties, comme celle que j’ai décrite, jusqu’au 19 juillet, qui vit la dernière. Le 20, Sara et sa mère étant absentes, j’allai le soir au Boulevard de corruption, pour me dissiper… Quelle fut ma surprise d’y voir Sara, entre un jeune abbé coquet et une dame âgée, la mère, qui lui souffrait !…

Tandis que cette vision m’occupait et que je me tenais à l’écart, on me frappa sur l’épaule. Je me retourne vivement. C’était Lamontette ; « Hé bien ! Aimez-vous encore ? — Vous êtes sans intérêt à le savoir. — Ha ! J’en réponds ! Sara est la plus méprisable, la plus méprisée… Mais la voilà ! Elle a un abbé depuis environ deux mois ; je la vois sans cesse avec lui, ou avec une dame qui l’accompagne aujourd’hui. On dit que c’est la mère de l’abbé qui lui donne elle-même une maîtresse, par commisération… Dites, aimez-vous encore ? — Non. »

Je parlais vrai en répondant ce non ; il ne fut ni douloureux, ni même pénible. Cependant je crois que j’aurais continué à revoir Sara. Mais cette journée était celle des découvertes. J’eus à peine quitté Lamontette, que j’aperçus Manon, cette jolie brune dont il est dit un mot à l’occasion du dîner des artistes. « Hé bien, me dit-elle, vous avez été de la noce ? — Non ! de qui ? — De votre demoiselle. Cette dame que vous voyez a un fils abbé… que voilà, qui ne peut se passer de femme ; sa mère lui en donne. Mais, comme elle est dévote, pour ôter le péché, elle les a mariés devant Dieu, pour jusqu’à ce que son fils soit prêtre. Alors le mariage sera rompu. » Ceci se rapportait avec deux mots de Lamontette. Je fus anéanti ! non de surprise ; je connaissais la mère d’un bénédictin qui avait fait la même chose pour son fils ; mais d’étonnement de la ruse de Sara !… Je me retirai, sans répondre.