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Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 2, 1883.djvu/103

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noncé, avec un douloureux soupir, par l’homme qui l’aima plus qu’il n’est possible d’aimer ; qui ne lui parla jamais, qui toujours ignora ce qu’elle est devenue, si elle est restée fille, ou si elle est mariée ; si elle est veuve, si elle a des enfants ; si elle existe encore, ou si elle a payé le tribut à la nature[1]

J’allais tous les jours à l’église ; mes yeux n’y cherchaient que Jeannette : j’étais heureux dés que je la voyais. S’il se passait plusieurs jours sans qu’elle parût, mon courage s’amollissait, mon goût pour l’étude se ralentissait ; je devenais moins concentré, plus disposé à jouer avec mes camarades, moins chaste dans mes pensées. D’autres jeunes filles du pays, comme Marianne Taboué, Nannette

  1. Le 4 Juin 1788, j’ai enfin eu des nouvelles de Jeannette Rousseau, par ma sœur Margot, qui avait séjourné près d’une année à Courgis, après qu’elle a eu perdu son mari et quitté sa boutique de bijoutière au Quai de Gèvres. Voici ses détails : Mlle Rousseau n’a jamais été mariée. D’honnêtes gens de Clermont-en-Auvergne l’engagèrent à être institutrice de leurs enfants, qu’elle a élevés. Ces honnêtes gens, qui étaient riches, eurent pour elle mille égards ; mais étant morts, les élèves ne se sont pas montrés aussi reconnaissants qu’ils le devaient : ce qui a donné du dégoût à cette bonne demoiselle, et lui a fait prendre la résolution de venir terminer ses jours à Courgis. Ainsi, tandis que je courais d’écarts en écarts, Jeannette fournissait une carrière innocente ; tandis que je tâchais d’acquérir quelque gloire, elle pratiquait de paisibles vertus. Elle a cependant ouï parler de moi : une lettre reçue d’Auvergne, relative à la Vie de mon Père, où Jeannette est nommée, fut écrite, je crois, à sa sollicitation, par un élève de mes frères. Je ne répondis pas, comme je l’aurais fait si j’avais su que Jeannette… Je n’ai point eu de ses nouvelles depuis 1788.