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Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 2, 1883.djvu/104

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Bourdillat, Agathe Adine, et la jolie Chevrier femme, etc., excitaient en moi, non de la tendresse, mais des désirs, comme avait fait la Nannette de Percy-le-Sec ; mon imagination embrasée s’égarait dans des idées de jouissance… Mais Jeannette venait-elle à reparaître, telle qu’un soleil radieux, elle chassait toutes ces images impures, et ne laissait dans mon âme qu’un sentiment tendre à l’excès, vif, impétueux, mais pur comme son cœur : mon esprit reprenait aussitôt son essor ; je rougissais de mes négligences… Ô Jeannette ! fille du Ciel ! (car la beauté est l’ouvrage de complaisance de la Divinité), si je t’avais vue tous les jours, que la bonne volonté de mes maîtres eût secondé le courage que tu m’inspirais, je serais devenu aussi grand que Voltaire, et j’aurais laissé Rousseau loin derrière moi ! Tu m’agrandissais l’âme : ce n’était plus moi ; c’était un être actif, ardent, qui participait du génie des Dieux !… Cet effet de la vue de Jeannette fut constamment le même durant tout le temps de mon séjour à Courgis.

Mais si j’étais trop longtemps privé de la vue, il suffisait qu’on la nommât devant moi, pour renouveler ma vertu. Ce fut ce qui m’arriva plusieurs fois de la part de Marguerite Pâris, qui, aimant beaucoup Mlle Rousseau, en parlait assez souvent. La première fois que je lui entendis nommer Jeannette, je n’avais pas encore parfaitement éclairci mes sentiments. Marguerite, l’abbé Thomas et la sœur Pinon citaient différentes personnes : la gou-