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Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 2, 1883.djvu/131

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me troublait se fut éloignée… Devina-t-elle mes sentiments à mon trouble ? je le crois. Elle avait dix-sept ans ; elle ne me parla pas : d’où vient ne m’aurait-elle pas adressé la parole, comme à mon camarade, si elle n’avait pas craint d’augmenter mon embarras ? Et j’observai, depuis ce jour-là, qu’elle ne porta plus librement les yeux de mon côté, comme auparavant ; elle les baissait au prône.

Il y avait, dans la paroisse, deux filles aisées et dévotes, qu’on nommait les Sœurs, parce qu’elles faisaient gratuitement l’école des filles, et qu’elles visitaient les pauvres malades. Sœur Droin, l’une d’elles, un peu notre parente, avertit Marguerite Pâris, que pendant le prône, ou le sermon, j’avais toujours les yeux tournés du côté de Mlle Rousseau. Marguerite me le redit avec bonté, en m’assurant que plusieurs personnes avaient fait la même remarque. Je rougis, je pâlis ; et dans ce moment, ma plus grande crainte ne fut, ni que mes frères, ni que personne de ma famille en fût instruit, mais que Jeannette sût que j’osais lever les yeux jusqu’à elle. Marguerite, qui avait été une belle brune, et qui était encore un tant soit peu coquette, quoique vraiment dévote, sourit avec finesse ; et comme elle se connaissait en passion, elle ne me dit que ces mots : — « Vous êtes bien jeune ! » Celle qui pénétrait avec indulgence mes secrets sentiments, me devint chère ; elle avait quelquefois excité des désirs, et je ne sais quel tendre abandon s’y joignit.

Je connus la jalousie quelques semaines après.