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Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 2, 1883.djvu/132

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Jeannette fut marraine : elle eut pour compère le jeune Droin, fils du procureur fiscal. En l’apprenant par Marguerite, je sentis un serrement de cœur. J’allai cependant voir le baptême ; mais de loin. J’observai tout, et dans le fond de mon âme, je me disais ce que j’ai lu depuis tant de fois dans les romans :

« Connaît-il comme moi le prix de celle qu’il approche ? Sentira-t-il, comme je le sentirais, le bonheur d’être son mari ? Ah ! Jeannette ! adorable Jeannette ! serez-vous aimée comme vous méritez de l’être et comme vous le seriez par moi ! » Des larmes coulèrent : elles était amères, comme jamais je n’en versai ! La jalousie redoubla mon amour. Mais je crus m’apercevoir, à la conduite de Droin, que c’était une de ces âmes de bois, comme il en est tant. La façon dont il regardait Jeannette, dont il lui parlait, était commune : ce n’est pas ainsi que je l’eusse regardée ! Avec quel ravissement !… J’appris ensuite, par Marguerite Pâris, que Jeannette n’était pas un parti assez riche pour lui. Et ce fut ce qui me consola. J’adorais la belle Rousseau : mais je la désirais pauvre ; j’aimais à nourrir l’idée, qu’un jour, elle devrait tout à mon amour, à mes talents ; et malgré mon attention sur moi-même, la joie se peignit si visiblement sur mon visage, que Marguerite s’en aperçut ; mais, aussi prudente que pudique, elle garda le silence.

J’étais absolument formé ; des actes de virilité non fréquents, mais assez multipliés, m’avaient