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Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 2, 1883.djvu/142

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l’idée d’un baiser. Ce n’était pas innocence ; mon imagination avait déjà plus d’une fois été libertine : j’aimais Jeannette, non comme j’avais aimé Julie Barbier, non en sœur, non pas même en amie, mais… de quel terme user pour me faire entendre ? car je ne l’aimais pas non plus en déesse, quoique j’aie employé ce terme ; je l’aimais par un penchant vif, puissant, par besoin, par un secret pressentiment que le bonheur complet était avec elle, parce qu’elle était le complément de ma propre existence. Dix ans plus tard, il aurait fallu l’obtenir ou mourir : à l’âge que j’avais alors, mes facultés, mon cœur, mon esprit, tout moi-même n’était pas assez formé pour sentir la force de mon attachement. Est-il étonnant que je saisisse avidement la première occasion de sacrifier une passion qui ne flattait presque pas mes sens, qui laissait le tempérament en repos, à une autre, où j’entrevoyais des jouissances convenables à mes facultés commençantes ?… Marguerite ne me promit rien ; elle me trouva le caractère trop peu solide encore.

Au salut, immédiatement après mon entretien avec Marguerite, je m’efforçai d’être infidèle à la jeune Rousseau : mes regards se portèrent sur Marianne et je fis, en son honneur, une chimère de mariage. La gouvernante m’observait. Mlle Taboué était grande, svelte comme on l’est à seize ans ; d’une grande blancheur ; modeste comme Mlle Rousseau. Elle me donna des désirs et m’inspira des pensées obscènes ; je sentis que, devenue ma femme, je