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Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 2, 1883.djvu/180

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1749 — MONSIEUR NICOLAS

moments de loisir pour écrire, fut sans doute remarquée ; mais je me cachais si bien, je travaillais avec tant de prudence, qu’on ne put me surprendre. Une circonstance assez indifférente avait augmenté les soupçons. J’écrivais surtout en allant à Saint-Cyr. Un soir, je m’étais assis sur la pelouse qui tapisse les bords du chemin, à la déclive de la colline opposée à celle de Courgis : le site était charmant et couvert de choqueriaux, dont la fleur bleue sert à teindre les œufs. Je m’étais trouvé en verve, et j’avais voulu achever mon poème. Il était de bonne heure, et l’on avait le plus beau ciel. Je m’étais oublié ; il était presque nuit, lorsque j’étais sorti de mon enthousiasme. Je m’étais levé, j’avais couru. Mais la nuit était close lorsque j’étais arrivé à Saint-Cyr. J’étais reparti sans m’arrêter, et je n’étais arrivé à Courgis qu’à neuf heures du soir. On m’avait demandé si la viande n’était pas arrivée lorsque j’avais paru ? J’avais été très embarrassé ! Dire qu’elle n’était pas arrivée, le mensonge se fût aisément découvert : dire que je m’étais amusé, l’on m’en aurait fait un crime ; c’est ainsi que la trop grande rigueur nécessite le déguisement. Il me fallait une fable vraisemblable, dont il fût impossible de découvrir le faux, et qui me justifiât pleinement. (On me forçait à devenir romancier, longtemps avant que je fisse des romans !) Quelques semaines auparavant, par un brouillard fort épais, j’avais aperçu, à dix pas de moi, en montant la colline des Colons, un animal, que j’avais pris d’abord pour un chien. Je frissonnai !