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Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 2, 1883.djvu/211

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pour aller au bois de Lichéres ; on paraissait me regarder moins noir ; je me rassurais insensiblement, persuadé que j’avais perdu mes vers, et que la froideur grave de mes maîtres n’était occasionnée que par les propos tenus innocemment par Lemoine.

Le surlendemain, vers le midi, je vis arriver mon père. J’allai pour l’embrasser. Il me regarda d’un air surpris de ne voir aucune altération sur mon visage. Mais on ne lui laissa pas le temps de m’entretenir. L’abbé Thomas s’empara de lui ; Huet, par ses ordres, alla chercher M. le curé, qui était à l’église ; ils s’enfermèrent. J’eus alors un battement de cœur : je soupçonnai que mes vers étaient entre leurs mains ; mais où, comment, et qui les avait pris ? Je ne l’ai jamais su… L’abbé Thomas était resté auprès de nous. Au bout d’un demi-quart d’heure, on l’appela. Il resta un quart d’heure. Après quoi l’on sortit pour venir se mettre à table.

Mon père avait l’air peiné ; il ne me dit rien. Je ne doutai plus de mon malheur, et me représentant la licence de mes vers, je souffris dix fois plus, pendant ce triste dîner, qu’ils ne m’avaient donné de plaisir, depuis prés de six mois que je m’en occupais. J’aurais voulu que la terre s’entrouvrît pour me cacher… En sortant de table, mon père, qui jamais ne découchait, quand il n’allait pas au delà d’Auxerre, prit congé de ses deux fils et partit. Nous le reconduisîmes tous cinq jusqu’à la porte dite de Préhy. Là, mes frères et mes deux camarades nous laissèrent, et mon père me dit de le suivre. J’éprou-