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Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 2, 1883.djvu/215

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livre, que je ne lus pas ; j’étais privé de toutes mes facultés, excepté du sens intérieur, qui me retraçait sur la page ce que m’avait dit mon père. À souper, le curé dit quelques mots couverts à mon sujet ; ils me sont échappés ; j’y fus insensible.

Le lendemain, ma concentration continua : j’étais anéanti. J’étudiai, mais sans goût : l’image de Jeannette, qui était le baume de ma pensée, ne faisait plus que m’attrister ; je n’avais plus d’âme depuis que celle de cette aimable fille ne m’animait plus. Mais à l’âge que j’avais, les impressions douloureuses ne tardent pas à s’effacer…

Des trois ou quatre ouvrages que Michel Linard m’avait prêtés, je n’avais plus que le Théâtre du Monde, qui, étant moral, rempli de citations des Saints Pérès, surtout de Saint Bernard, me parut un livre qu’on pouvait me trouver. Je le laissai voir à l’abbé Thomas. Je ne fis plus de vers, et je repris ma sécurité. Je me croyais fort sûr, lorsqu’un matin, étant encore au lit, je vis entrer le curé en fureur, la canne levée sur moi (il partait pour Auxerre) : « Misérable ! » me dit-il, « qui te vautres dans la fange, donne tout à l’heure tes mauvais livres, ou !… » Il voulut frapper. L’abbé Thomas, beaucoup plus froid, le retint. (C’était cependant sur sa dénonciation que j’essuyais cette scène.) Je tirai de ma poche le Théâtre du Monde : — « Je n’en ai pas d’autre que celui-ci. » Je compris que c’était ce qu’il demandait. Ce qui me surprend, c’est que l’abbé Thomas avait parcouru le livre et me l’avait