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Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 2, 1883.djvu/22

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goût nouveau aura quelque chose de mélangé, qui le rendra dissemblable de celui de nos gens du bel air ; si les jardins Anglais n’existaient pas, il les inventerait, mais non pas avec nos petitesses. Ah ! si j’avais vu alors un jardin Anglais ! je me serais extasié ; je n’aurais pu le quitter[1] !… Mes yeux s’ouvraient donc, non aux beautés que mon père croyait qui me frappaient, mais sur celles analogues à mon goût. J’aurais mieux aimé mourir que d’entrer dans une de ces belles maisons qui m’humiliaient ; elles redoublaient ma sauvagerie naturelle. Mon père savait bien que ma timidité venait d’orgueil, et que jamais homme ne s’était cru plus que moi fait pour commander. Si j’étais né prince, on aurait admiré l’élévation de mon âme : si l’on avait connu les motifs d’insociabilité d’un petit paysan de Basse-Bourgogne allant à pied, pour être enfant de chœur à Bicètre, mon orgueil aurait fait pitié. L’orgueil, ou le sentiment vif de ma supériorité, la moitié du temps, et avec certaines personnes, était le motif de mon humeur sauvage ; avec les personnes très éclairées, c’était le sentiment de mon infériorité. Je ne voulais, dans aucun des deux cas, me trouver avec des gens qui devaient me regarder, à tort ou justement, comme au-dessous d’eux ; je ne voulais rien devoir au mérite, pas même l’indul-

  1. Personne au monde n’a eu autant de plaisir que moi à la représentation d’Arlequin sauvage : c’est que personne n’a senti cette pièce comme moi, pas même son auteur.