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Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 2, 1883.djvu/226

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1749 — MONSIEUR NICOLAS

De là, je considérai le ravage. C’était le plus horrible spectacle que j’aie vu de ma vie. Cent quarante-neuf maisons, qui brûlaient à la fois avec leurs récoltes, formaient une masse de fumée qui voilait le soleil. On voyait les édifices d’un autre côté de rue, sans contact, fumer hideusement, noir d’abord, rouge ensuite, puis la flamme éclater avec furie. Je redescendis ; je traversai les rues non brûlantes où je ne rencontrai personne : c’était une solitude effrayante, dont l’horreur était augmentée par la vue de ces animaux, qui ne se montrent jamais au jour ; les fouines, les belettes, les rats sortaient des chaumières échauffées et semblaient annoncer leur prochain embrasement… Dans cet effroi général, j’aperçus Jeannette et sa mère qui sortaient de chez elles ; la dernière emportait son plus jeune enfant ; le père et le frère étaient occupés à sauver les actes et les effets les plus faciles à emporter… Je dis à Melin : — « Courez leur dire qu’il n’y a pas de danger dans le jardin du presbytère !… » J’envoyais un autre, n’osant aller leur parler moi-même ; mais si elles y étaient venues, je me serais bien gardé d’y entrer !… L’abbé Thomas travaillait avec courage, et personne ne songeait au presbytère, que son isolement entre des jardins et son couvert en tuiles préservèrent. Le curé, plein de foi, alla opposer aux flammes le Dieu dont il était le ministre… Les trois quarts du bourg furent consumés, depuis la porte de Chablis en remontant en triangle, jusqu’à l’endroit où la rue de l’Église quitte la Grand’rue, et en redescendant