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Page:Revue Musicale de Lyon 1904-02-17.pdf/2

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revue musicale de lyon

bation que nous-mêmes de l’avoir méritée.

Qu’on me permette une anecdote personnelle relative à la façon dont je fis connaissance avec le père Franck. Après avoir terminé mon cours d’harmonie et avoir aligné quelques pénibles contrepoints, sans avoir étudié ni la fugue ni la composition, je me figurais être assez instruit pour pouvoir écrire, et ayant à grand’peine couché sur papier à musique un quintette pour piano et instruments à cordes, je demandai à mon ami Henri Duparc, un des plus anciens élèves du maître, de me présenter à lui, persuadé que mon œuvre ne pouvait que m’attirer les félicitations du grand artiste que je révérais sans le connaître encore. Lorsque j’eux exécuté mon quintette devant lui, il resta un moment silencieux, puis, se tournant vers moi d’un air triste, il me dit ces paroles que je n’ai pu oublier, car elles eurent une action décisive sur ma vie : « Il y a quelques bonnes choses ; les idées ne sont pas mauvaises, mais… vous ne savez rien du tout ! » Puis, me voyant très mortifié de ce jugement, auquel je ne m’attendais guère, il ajouta, dans une intention corrective : « Si vous voulez que nous travaillions ensemble, je pourrais vous apprendre la composition. »

En revenant chez moi, dans la nuit, car cette première entrevue avait eu lieu un soir, assez tard, je me disais en ma vanité blessée : « certainement Franck est un esprit arriéré, il n’a rien compris aux beautés de mon œuvre… » Néanmoins, plus clame le lendemain, en relisant ce fameux quintette et en me rappelant les observations que le maître m’avait faites en soulignant, selon son habitude, ses paroles d’arabesques au crayon sur le manuscrit, je fus forcé de convenir avec moi-même qu’il avait absolument raison : Je ne savais rien.

J’allais donc lui demander, presque tremblant, de vouloir bien me prendre au nombre de ses élèves, et il m’admit à la classe d’orgue dont il venait d’être nommé professeur.

(À suivre).

Vincent d’Indy.

Les Sonates de Beethoven

POUR PIANO ET VIOLON
(suite)

La septième sonate (œuvre 30 no 2) en ut mineur, est peut-être la plus belle de toutes, sinon la plus célèbre. Grâce à une conférence de M. Vincent d’Indy publiée le 2 février 1902 par le Courrier Musical, son étude sera rendue plus facile. L’éminent créateur de la Schola Cantorum, le génial auteur de l’Étranger et de tant d’œuvres hors de pair a, au cours de cette conférence, esquissé succinctement les grandes lignes architecturales de cette sonate. « Elle est, dit-il, à quatre mouvements. Le premier mouvement allegro est composé, comme toute forme sonate, de deux éléments mélodiques. La première idée est d’ordre rythmique. »

Le piano fait d’abord entendre sur deux octaves cette idée toute nue pourvue seulement d’accords sur ses dernières notes. Elle est si expressive qu’on ne saurait déjà se méprendre sur son caractère. Le violon la répète à l’octave supérieure. Les sourds roulements de la basse, les accords arpégés de septième diminuée, d’ut mineur, etc… la précisent. C’est un sombre chagrin, une douleur poignante qui éclatent dans cette phrase désolée. Soudain quatre accords fortissimo alternés par les deux instruments retentissent. On dirait un gigantesque effort de la volonté pour secouer les pensées tristes et l’abattement. Voici en effet la seconde idée. « Elle est, dit M. Vincent d’Indy, d’ordre mélodique et se déroule en trois phrases consécutives, comme du reste toutes les secondes idées de Beethoven. »