Aller au contenu

Page:Revue Musicale de Lyon 1904-03-09.pdf/5

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
245
revue musicale de lyon

veilleusement ménagée ramène presque au complet la première phrase du thème de l’andante. C’est après les variations animées et étincelantes, une péroraison simple et calme.

Le presto final n’a pas été écrit pour la sonate à Kreutzer. Il faisait primitivement partie de la 5e sonate (œuvre 30 no 1) dont Beethoven le détacha. Il est à 6/8 et en la majeur. Son mouvement est excessivement rapide. C’est une sorte de tarentelle d’un entrain et d’un brio surprenants. Une charmante phrase à 2/4 coupe à trois reprises le rythme de tarentelle mais sans ralentir l’allure.

Des trois parties dont se compose la sonate à Kreutzer la plus belle est incomparablement le premier presto. À côté de lui l’andante con variazione occupe une place très honorable. La tarentelle finale n’est pas d’une valeur égale à celle des deux autres parties.

C’est pourquoi la sonate à Kreutzer ne doit pas être mise au premier rang des sonates de Beethoven pour piano et violon. La septième sonate en ut mineur écrite sous le coup d’une violente douleur et d’un profond désespoir est plus homogène et plus égale dans toutes ses parties. C’est à elle que revient la première place. Il en serait différemment si toutes les parties de la sonate à Kreutzer se maintenaient à la haute du premier presto.

Grâce à cette magnifique sonate, le nom de Rodolphe Kreutzer est à tout jamais sauvé de l’oubli. À la vérité, même sans la dédicace à lui faite par Beethoven, sa mémoire aurait survécu dans le monde des violonistes. Kreutzer est l’auteur de 40 excellentes études pour violon seul. Il a écrit 19 concertos estimés, quelques-uns d’entre eux seront toujours donnés comme morceaux de concours dans les conservatoires. Il a été violon solo, puis chef d’orchestre du Grand Opéra de Paris, virtuose de la Maison particulière de Napoléon Ier et de Louis xviii. Kreutzer a composé 40 opéras dont quelques-uns eurent un énorme succès. Qui s’en doute aujourd’hui ?

Kreutzer fit la connaissance de Beethoven à Vienne en 1798, au cours d’une tournée artistique en Europe. Ils se lièrent d’une étroite amitié. Kreutzer introduisit Beethoven à l’ambassade de France. L’ambassadeur était alors un général de 34 ans, Bernadotte. Le futur roi de Suède fit à Beethoven l’accueil le plus cordial.

Beethoven et Kreutzer faisaient souvent de la musique à l’ambassade dans des réunions tout intimes.

La sonate à Kreutzer a été écrite en 1803, tout simplement en vue d’un concert. Beethoven ne la dédia à Kreutzer qu’en 1805. Il l’avait déjà deux fois jouée en public deux ans auparavant avec Bridgewater, violoniste mulâtre.

Kreutzer ne se montra pas digne du grand honneur que Beethoven lui avait fait. Lui, qui avait vécu dans son intimité, que le Maître avait initié à sa musique en la jouant avec lui, déclara hautement cette sonate incompréhensible. Il ne voulut jamais la jouer.

Kreutzer ne fut pas le seul des grands virtuoses de l’époque à ne pas comprendre la beauté des plus magnifiques œuvres de Beethoven. Bernhard Romberg le plus illustre violoncelliste du temps, fit, au dire de Victor Wilder, preuve à l’égard du 7e quatuor en fa (œuvre 59) d’une aussi parfaite inintelligence. Il jouait pour la première fois cet admirable quatuor en 1812, à Moscou, dans les salons du prince Soltikoff. Tout d’un coup il jeta sa partie à terre, la foula aux pieds pour témoigner de son indignation d’avoir profané son talent à jouer de pareilles insanités.

L’aveuglement de Kreutzer et de Romberg pèsera toujours sur leur mémoire. Il doit être pour nous un enseignement. Il