Aller au contenu

Page:Revue Musicale de Lyon 1904-03-09.pdf/4

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
244
revue musicale de lyon

Le héros de Tolstoï obnubilé par la jalousie a complètement méconnu la portée philosophique et l’élévation morale de ce presto, le plus beau des trois mouvements de la sonate. La jalousie plutôt injustifiée de ce personnage le porta peu après l’audition de cette sonate a assassiner sa femme. Tel qu’il a été campé par Tolstoï, il n’est pas douteux que cet exalté aurait tôt ou tard tué sa femme dans un accès de jalousie maladive, quand même elle n’aurait jamais joué le presto de la sonate à Kreutzer avec l’élégant et robuste violoniste.

Parler à propos de ce presto des dangers de la musique, de ses conséquences parfois épouvantables, la considérer comme un excitant raffiné de la volupté, c’est un odieux mensonge, un exécrable blasphème. Ce presto est au contraire une ode enflammée exaltant et glorifiant les nobles sentiments sur lesquels Beethoven a toujours réglé sa vie, c’est-à-dire l’enthousiasme, le mépris de l’égoïsme étroit et mesquin, l’amour du beau.

À ce prodigieux presto succède un andante con variazioni.

Le thème est à 2/4 et en fa. Il se compose de deux phrases. La première phrase apparaît trois fois, au début, au milieu et à la fin. La seconde s’intercale dans les deux intervalles que lui laisse la première.

La première phrase est caractérisée par une accentuation presque constante sur le second temps sensible tantôt dans le chant, tantôt dans l’accompagnement. Les deux premières mesures offrent un exemple frappant de ce que la barre de mesure a d’artificiel. En effet les barres de mesure qui sont placées entre l’anacroux fa et la première note mi de la première mesure et entre l’anacroux et la première note do de la seconde mesure, paraissent l’une et l’autre séparer deux notes qui en réalité sont indissolublement liées. On commettrait en les détachant un grossier contresens.

La deuxième phrase est d’un rythme plus égal, moins syncopé. Elle comporte dix mesures. D’élégants trilles viennent se poser sur plusieurs notes des quatre dernières mesures.

Cet andante est très beau. Son style est large, presque religieux.

La première variation toute en triolets sautillants et en trilles éclatants a été écrite pour la plus grande gloire du piano. Le violon se contente de placer à des moments admirablement choisis, de discrets triolets du plus heureux effet.

La seconde variation c’est le Capitole des bons violonistes, la Roche Tarpéienne des autres. Formée exclusivement de groupes de quatre rapides triples croches, dont le plus souvent deux sont unies et deux délicatement détachées, elle monte jusqu’aux notes les plus aiguës que peut émettre le violon sans le secours des sons harmoniques. Elle est scintillante comme à la lumière un diamant de la plus belle eau, elle a la grâce et la légèreté du vol d’un papillon.

Dans les deux premières variations Beethoven a consenti a donner une légitime satisfaction au désir bien humain de briller que porte en lui tout virtuose. La troisième variation dont toute virtuosité est exclue, est voilée d’un nuage de tristesse. Certains sanglots dramatiques du violon et renforcent le caractère plaintif.

Dans la quatrième variation toute la virtuosité des deux instruments est à nouveau déchaînée. Chacun d’eux se livre à son tour à une profusion de traits plus étourdissants les uns que les autres. Le violon tire dans le registre le plus aigu un fantastique feu d’artifice de trilles pétillants. Cette variation est féerique. C’est l’alliance la plus parfaitement réussie de la plus brillante virtuosité et de la plus pure musicalité ; c’est un incomparable chef-d’œuvre du genre.

Après une mesure adagio commence une sorte de coda. Une transition mer-