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Page:Revue Musicale de Lyon 1904-03-09.pdf/8

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revue musicale de lyon

de là ces chromatiques courant comme des frissons de spasmes dans des nerfs tendus à l’excès, de là ces oppositions violentes de la partie ascendante du thème du désir, si vite retombé lorsque la plainte douloureuse du cor anglais se superpose à l’affolante supplication des cordes graves, de là, enfin, dans la Mort d’Isolde, ce désir croissant qui va suivant la progression chromatique du thème, mêlant à la vision paradisiaque où vous porte l’appoggiature de l’Extase, le trouble sensuel, physiologique, où vous jette le motif du délire d’amour ; ce n’est plus sur la chanterelle que vibre l’archet des violons, c’est sur les nerfs eux-mêmes : les sens sont angoissés et envahis autant que l’âme ; l’être tout entier frémit sous ce souffle de surhumaine passion, et la résolution finale sur l’accord parfait vous laisse anhélant, épuisé, hors de vous-même et du réel, envahi d’une ivresse plus profonde que celle des pires poisons. Et c’est peu à peu le douloureux réveil, le retour à la vie banale, hors de l’harmonie, hors du beau, hors du paradis entr’ouvert, avec le ressouvenir d’une seconde incorporée, avec aussi l’incapacité absolue de comprendre et d’écouter toute autre musique.

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Après le déchaînement de lyrisme, la passion foudroyante de l’œuvre de Wagner, la seconde partie du concert parut peu intéressante et presque ennuyeuse. Je ne veux pas faire ici le procès de la musique de Berlioz. Une antipathie personnelle, que je sais du reste partagée par un bon nombre de musiciens et même par les représentants les plus autorisés et les plus… officiels de la musique à Lyon, m’empêche peut-être de juger avec toute l’impartialité désirable celui dont on a voulu faire un des trois grands B.[1] Cependant, de l’avis général, il était peu charitable pour la mémoire de Berlioz de jouer une de ses œuvres qui n’est pas la plus intéressante — Roméo et Juliette — après les chefs-d’œuvre de Beethoven et de Wagner.

M. Chevillard qui a cherché sans doute à glorifier Berlioz — toujours le centenaire ! — a rendu au Maître français le plus mauvais service. Combien en effet parut froide cette longue description de la « solitude de Roméo, de sa tristesse, du concert et bal et de la Grande fête chez Capulet » ! Et cette Scène d’amour qui pourtant renferme des choses intéressantes, sembla vide et filandreuse…

L’ouverture de Léonore et la Marche Hongroise de la Damnation de Faust terminaient le concert. Puisque cette dernière œuvre était le morceau de concours choisi par MM. Colonne et Chevillard, disons que M. Colonne nous a semblé mériter, pour cette Marche célèbre, le premier prix d’exécution.

Nous avons dit dans le courant de ce compte-rendu les qualités de l’orchestre Lamoureux. Ce qu’il faut surtout louer c’est son homogénéité. Comme le disait un critique américain bien connu au lendemain des représentations de Tristan données en 1899 au Château-d’Eau : « Thèse men are one body. » Ces hommes ne forment qu’un seul corps. Sous la direction admirable de M. Chevillard, comme sous celle de M. Lamoureux, l’orchestre que nous considérons comme le meilleur orchestre français mérite pleinement ce suprême éloge.

Léon Vallas.

Quatuor Zimmer

Le Quatuor Zimmer de Bruxelles qui s’est fait entendre le 4 mars à la Salle Philharmonique n’était pas inconnu à Lyon. On avait eu’occasion d’y apprécier, l’an dernier, ces excellents artistes, si convaincus, si consciencieux, dont l’ensemble est homogène et concertant à souhait. Il y a peu de quatuors où chaque instrument sache à ce point soumettre sa personnalité aux exigences de l’ensemble ; et il est même permis de se demander si dans certaines œuvres (je songe à Borodine, à Saint-Saëns, à R. Strauss), la modestie du premier violon ne paraîtrait pas aller jusqu’à l’effacement. Le programme du 4 mars, d’ailleurs, n’autorisait nulle appréhension de cette nature, les trois œuvres qu’il comportait ayant bien les caractères de « concentration essentielle » qui sont propres à la vraie musique de chambre.

  1. On sait que les Allemands désignent souvent sous le nom des trois grand B, Bach, Beethoven et Brahms. Certains français ont voulu remplacer par le nom de Berlioz celui de Brahms qui se trouve en effet singulièrement écrasé par le voisinage de Bach et de Beethoven. Ce remplacement est difficile à justifier et nous pensons qu’il vaut mieux renoncer à cette classification inutile des génies par l’initiale de leur nom patronymique.