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Page:Revue Musicale de Lyon 1904-03-09.pdf/9

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revue musicale de lyon

Le quatuor, en mineur de Mozart a été détaillé avec une parfaite entente, surtout dans l’allegretto, des moyens et des procédés du maître de Salzbourg. Le quatuor en fa (op. 135) de Beethoven n’a peut-être pas produit par ses deux premières parties tout l’effet qu’on pouvait attendre ; le lento et les deux derniers mouvements, en revanche, se sont déroulés dans toute l’ampleur émouvante de leurs sonorités et de leurs combinaisons mélodiques.

Entre ces deux œuvres classiques, et nullement compromis par ces augustes voisinages, se plaçait le quatuor en mi majeur de M. Witkowski, exécuté pour la première fois en public à Lyon. L’audition de vendredi et l’accueil du public, ont sanctionné dans le milieu musical lyonnais le succès que cette belle œuvre avait trouvé à Bruxelles et à Paris. Et quel dommage que les convenances du programme n’aient pas permis au quatuor en mi d’être joué à la suite de celui de Beethoven ! Rien n’eût mieux démontré qu’à travers César Franck, c’est bien aux quatuors de Beethoven que se rattache, laissant de côté le bavardage mélodieux de Mendelssohn et l’ingéniosité laborieuse de Brahms, la tradition à laquelle appartient cette musique toute intérieure et toute sincère. Avec l’unité que lui confère sa forme cyclique, avec la richesse de sa contexture harmonique, le quatuor en mi représente bien (M. Lalo reconnaissait le même mérite à la Symphonie de Witkowski), la forme actuelle typique du quatuor en France : ajoutons que ses habiletés d’écriture ne font point tort à sa valeur expressive et à son intensité d’émotion.

L’analyse thématique donnée par le dernier numéro de la Revue Musicale de Lyon nous dispensera d’insister sur la facture de l’œuvre : complétons-là du moins par quelques « impressions d’audience ». La phrase fondamentale, si grave et si noble, si pénétrante avec son altération de la quart, s’installe d’abord en une fugue que sa liberté n’empêche pas de se développer rigoureusement. Un mouvement assez animé lui succède, combinant deux thèmes d’allegro, avec l’épisode d’un thème mélancolique dont l’alto chante la poignante langueur. Une vie rythmique singulièrement alerte anime le très vif ; une mélodie d’un tour vraiment franckiste par sa simplicité expressive s’en détache au trio, confié cette fois au violoncelle, qu’accompagnent pizzicati et sautilées. Le violon l’a reprend à la fin, avant un dernier retour (d’une brièveté un peu surprenante peut-être) du mouvement très vif.

Le quatrième morceau (très lent) unit la hardiesse harmonique la plus audacieuse à l’ampleur de pensée la plus noble ; son début, qui ouvre la deuxième grande division de l’œuvre, en est la partie la plus inspirée, d’une inspiration très haute et pourtant infiniment humaine et attendrie. Puis c’est la phrase mélancolique du second mouvement qui revient, encore alanguie, et qui reparait en fugue aux quatre parties : je ne saurais mieux en comparer la tristesse infinie qu’à cette mélopée inconsolable sur laquelle G. Lekeu a bâti la deuxième partie de sa Sonate pour piano et violon. Non qu’il y ait, dans le quatuor de Witkowski, rien qui ressemble à une réminiscence ; mais c’est la même plainte inassouvie, sans faux pathétique, sans déclamation, qui s’exhale ici et là. Le mouvement s’anime ensuite et s’enchaîne au finale, qui débute par une transformation du thème principal, et ramène ensuite dans le cadre de ce dessin rythmique plusieurs thèmes apparus antérieurement.

Enfin, après quelques réapparitions plus importantes de phrases plus ou moins modifiées, parmi lesquelles un retour de l’adagio sur un rythme à 5/4, une polyphonie complexe juxtapose une dernière fois les éléments principaux de l’œuvre. J’avoue (c’est là une impression qu’une nouvelle audition atténuerait peut-être) que la complexité de cette conclusion m’a semblé décevante à force de richesse et de densité. On peut discuter et contester l’intérêt de la forme cyclique ; cette forme une fois admise, et si l’on accorde qu’une beauté spéciale émane de la parenté des thèmes et de leur retour, il est permis de se demander, si, difficilement reconnaissables et discernables, ils peuvent compter encore sur le même genre d’attention et de sympathie. Or, la dernière partie du finale semble fonder trop d’espérances sur le discernement de l’auditeur et sur son aptitude à reconnaître des motifs, si ingénieusement dénaturés et combinés que leur parenté ne l’émeut plus guère.