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Page:Revue Musicale de Lyon 1904-03-16.pdf/8

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revue musicale de lyon

dans les cérémonies du Sacrifice, cent autres détails encore, marquent un parti pris excessif de modernisation d’un des plus étranges poèmes de l’Orient.

La partition si claire, si colorée, si vivante de M. Camille Saint-Saëns, est évidemment une des meilleures du théâtre contemporain. On ne saurait lui faire d’autre reproche que d’avoir gardé de l’opéra ancien, certaines formules un peu désuètes et vieillottes, qui font de Samson et Dalila, une œuvre de transition, intermédiaire entre l’opéra classique à la Meyerbeer, et le roman musical actuel de d’Indy ou de Charpentier. Il est évident par exemple que l’air du ténor « Israël, romps ta chaîne. » (4. si bémol, acte i, sc. ii) rappelle de bien près, par son rythme et son accompagnement en accords plaqués de cordes, le « Roi du Ciel et des Anges. » du Prophète ; il est certain que l’air du Grand-Prêtre « Maudite à jamais soit la race. » (4. la bémol, acte i. sc. iii) a de fâcheuses ressemblances avec les pires inspirations de M. de Sombre-Accueil, dans Hamlet : il est hors de doute enfin que le renforcement persistant du chant d’Abimélech par l’ophicléïde est d’un goût assez douteux, ainsi que les dessins aigus de hautbois et de flûtes qui l’accompagnent et le coupent. Mais il faut reconnaître par contre que l’harmonie est nettement moderne, et l’orchestration presque constamment habile (notons l’excellent emploi des flûtes au grave), et qu’en définitive, Samson, même venant après la Tétralogie, est une œuvre très vivante et des plus agréables.

La reprise actuelle de Samson a obtenu un succès beaucoup plus vif auprès du grand public qu’auprès des professionnels et des critiques, en raison surtout de ses interprètes. Mettons d’abord hors de cause M. Verdier, l’artiste consciencieux, toujours en scène, vivant ses rôles, et possédant une science vocale parfaite, M. Sylvain très bon dans un rôle d’ailleurs sans relief, M. Rouard dont le parti pris de nasiller, et les gestes de traître de mélodrame deviennent horripilants. Passons sous un indulgent silence, les comparses destinés, paraît-il, à remplir le rôle d’intermèdes comiques, pour discuter le cas de Mlle Soyer, car sa présence était le clou de la représentation.

Mlle Soyer est une artiste toute jeune encore, d’une très belle allure, douée d’une voix magnifique de contralto, et qui n’a d’autre défaut que d’avoir accepté et recherché sur une scène de second ordre, des succès faciles où l’Art n’était pour rien. Car il est nécessaire de dire et de répéter bien haut que l’Opéra de Paris, le Grand Opéras, est un mauvais théâtre, qu’on y fait de la mauvaise musique, qu’on y prend de détestables habitudes scéniques et vocales, encouragées par un public qui applaudit sans discernement et sans mesure des artistes que la Monnaie de Bruxelles, que les Arts de Rouen, que le dernier des Operntheatern d’Outre-Rhin siffleraient et rejetteraient d’une façon impitoyable. Mlle Soyer est une victime de l’Opéra : on y a trouvé de bon goût ses oppositions de forte au grave, et de piano à l’aigu, piano d’autant plus accentué que sa voix a un médiocre volume à ce registre : on y a applaudi son jeu fait tout entier de convenu déclamatoire et de mièvrerie sans naturel ; on y a déclaré incomparable sa voix dont un de nos critiques les plus spirituellement aigus disait le soir de la première : « Elle a dans les notes élevées le timbre d’une trompette avec sourdine, dans le registre moyen les nasillements flasques du basson, et au grave la sonorité de l’ophicléïde qui accompagne le chant d’Abimélech ». Cette exagération notoire contient d’appréciables parcelles de vérité ; Mlle Soyer n’a pas encore évidemment, ce qu’on pourrait appeler une voix égale et homogène.

Elle nous apparaît comme une artiste à qui il reste beaucoup à apprendre, mais qui a devant elle le plus magnifique avenir, parce qu’elle a ce qui ne s’acquiert pas, plastiquement et vocalement, et qu’il ne lui manque qu’une direction artistique sévère, et un public moins indulgent, ce qui est facile à trouver. Terminons selon l’usage par des félicitations à l’orchestre et à M. Flon.

Edmond Locard.